lundi 1 mai 2023

Immolée

 

 


 Ce matin, en poussant les portes vitrés de l'immeuble dans lequel elle travaille, Amanda ne pensait pas tomber si tôt sur un de ses collègues.
Ou plutôt sur le cadavre de celui-ci.
Défenestré, pousser à bout, au bout du rouleau, il avait fait ce choix de prendre la fenêtre plutôt que la porte, bien que la veille son patron lui avait suggéré la deuxième solution.
Encore un, pensa-t-elle, en raccrochant le téléphone de feu son collègue alors même que l'interlocuteur à l'autre bout de la ligne s'impatientait.
"Ne quittez pas je reviens à vous tout de suite" avait-il dut répondre à son correspondant avant de s'élancer du 7em étage.

Le mois dernier c'était un collègue du S.A.V que l'on avait retrouvé pendu avec un câble téléphonique.
Gilbert lui qui ne parvenait jamais à trouvé ces mots sur les grilles du jeux du même nom. Le pendu. C'est bon vous saisissez?
Peut-être que l'idée lui était venu comme ça, lui seul le sait...savait.
Et encore avant, un employé s'était immolé par le feu dans les locaux.
Chose étrange, l'entreprise n'avait jamais fait l'objet d'une enquête pour licenciement abusif.
Après tout, les ruptures étaient non-conventionnelle mais bien consensuelles.
La seule mesure qui fut prise c'est d'embaucher une psychologue, elle même ne s’étant pas suicidé mais finit par se mettre en dépression.

Trois hommes rentrent alors dans "l'open space" encore endeuillé.
Les deux premiers en bleue de travail sortent leurs outils pour remplacer la fenêtre, tout comme le dernier arrivant qui dépose ses crayons sur le bureau vacant, renouant ça cravate avant de commencer sa première journée.
C'est le quotidien de cette grande entreprise, cette grosse usine à rêves brisées.
Bien sur avant d'en arrivé là il y a des paliers à franchir, une sorte de pyramide hiérarchique s'est formée pour définir qui sera le prochain.
Le tableau d'avancement est devenu une "death pool".
Et pas  besoin de le regarder ce matin pour savoir que les prochains a en bénéficier seront le service communication/relation presse.
Avec une nouvelle crise interne à gérer après le suicide, voilà de belles journées rallongés en perspective pour rassurer les actionnaires et l'opinion publique, préserver l'image de marque lisse et attractive. C'est le "burn out" assuré!

Du coup en attendant patiemment son tour, elle décompresse en fumant.
Il est important de préciser qu'en arrivant dans l'entreprise elle n'avait jamais fumé, hormis une fois adolescente pour essayer mais cela ne l'avais pas séduite.
Au bout d'un temps, elle finit par s'y mettre elle aussi.
Certainement frustré à force de rester seule assise dans une cabine de toilette pendant que les autres profité ensemble de leur pause clope.
Et puis dans le monde du travail, si vous n'êtes pas fumeur vous avez tout simplement moins de temps de pause cumulé, alors que vous n'êtes pas moins fatigué ou stressé qu'eux pour autant!
Le stress parlons en justement, il est présent sous toutes les formes, se manifeste sous de multiples signes physiques : ongles rongés, calvitie précoce (appelée aussi pelade), acné tardive ou eczéma, dois-je préciser que des rougeurs sur le nez sont plus souvent assimilé à autre chose comme de l'alcoolisme, rire nerveux, tremblement.
Si toutefois vous êtes sujet au débit régulier de blague salace sachez que ce n'est pas le stress, vous êtes juste un pervers. Désolé pour vous.
Il en est de même pour ceux et celles qui se masturbe inévitablement leurs bureaux, bien qu'il faut bien avouer que les endorphines générées par l'orgasme contribue à éliminer le stress.
Pour palier à tout ça, la nicotine et la caféine sont des moyens comme les autres, toutefois le mélange des deux n'est pas conseillé sinon vous pourriez cumulé trop de temps de pause partagé entre les toilettes et l'espace fumeur. Ce qui ferait inévitablement chuter votre productivité et vous attirer les foudres de votre N+1, le manager.
Sans oublier, que cela peut vous causer des brulures d'estomac, c'est d'ailleurs ce qui arrive à notre jeune femme régulièrement.
Elle a beau voir le médecin, suivre différente cure médicinale pour guérir ce mal, il perdure.
Peut-être qu'il faudrait qu'elle en parle à quelqu'un d'autre, comme une psy par exemple mais comme je l'ai dit plus haut celle-ci est en dépression, elle ne serait d'aucune aide.
Toutes ses choses qu'elle garde pour elle, qui l'a ronge de l'intérieur.
Elle pauserait bien un tickets maladie, mais faut il encore être vraiment malade.
Pour cela elle a pratiquement tout essayée : venir en mini jupe en hiver, embrassé les collègues contagieux, gardé les enfants de sa sœur tout un weekend, excepté essayer de se casser un membre, elle pourrait accidentellement passer devant la liste des postulants suicidaire.
De nos jours les sœur sont fréquents et les employeurs n’hésite plus à engager des détectives privés pour faire constater la fraude.
Et finir au chômage, serait pour elle pire que la mort, rester chez elle attendant dans l'antichambre de l'enfer.
Non, elle préfère de loin le surmenage et la charge mentale d'une boite mail pleine à craquer, d'une tapisserie faite de post-it annotés d’innombrables taches à effectuer ou d'un téléphone qui sonne sans discontinuer jusque dans ses cauchemars et viennent en pleine nuit la réveiller.

A un moment elle aurait pu être actrice de sa vie, faire le choix de partir et non celui de subir mais ses diplômes sont tombés en désuétude, plus personnes ne sait à quoi ils correspondent maintenant et son CV contient deux lignes. Sur le marché du travail, cela n’intéresse personne, en tout cas, c'est ce qu'elle se dit.
C'est tout Amanda ça, attendre que tout s'arrange tout seul, ne pas prendre de décision, de peur que ça aggrave la situation.
Elle préfère subir les choses que les affronter, cela lui ressemble plus.

Aussi, elle aborda le problème avec une autre approche : tenter de se faire virer, "to get fired" selon l'expression américain consacré par le milliardaire au pastiche, monsieur Donald Trump.
Cependant être un mauvais employé requiert une vrai discipline et de vrai compétence, contrairement à un manager. Il ne suffit pas de regarder "la stratégie de l’échec" pour le devenir.
En l’occurrence le proverbe "qui peut le plus peut le moins" ne s'applique pas à ce cas de figure.
Arrivé en retard, pas coiffé, les dents sales, des aureoles sous les bras, pas maquillé sauf si considéré des crottes sur les cils comme du mascara naturel, se laisser allez à lâcher des flatulences en réunion...Devenir plus misérable que jamais, sans toutefois tomber dans l'incompétence ou l'insubordination, flirter avec les limites de la discrimination...c'est ça le secret pour se faire licencier.
Pour elle, qui a déjà renoncé à sa dignité en acquiesçant à toutes les exigences de son employeur, chef de service et manager - chacun ayant toujours plus de consignes à transmettre - cela ne demandais plus d'effort supplémentaire.
Et jour après jour, elle se consume à petit feu, ses brulures d'estomac se faisant plus violente, les dents noirci par le café et le tabac, on croirait qu'elle est carbonisé de l'intérieur. L'odeur de tabac froid qui la suit partout ne saurait trahir cette impression.

Mais ses efforts finissent enfin par payer, c'est ce qu'elle se dit du moins quand elle se voit convoquer par le DRH.
Lorsqu'elle arrive pour son rendez-vous, une secrétaire derrière son bureau fredonne les paroles "libéré, délivré" sur l'air de la chanson de Disney en classant un dossier.
A sa grande surprise, c'est le grand patron en personne qui lui ouvre la porte, lui lançant un beau sourire, sans traces aucune de sadisme au coin des lèvres.
C'est bien ça qui l’inquiète, ça et le fait qu'il invite à s'assoir, il va même jusqu'à tenir le fauteuil pour cela.
Un fauteuil pas une chaise, cela n'a pas la même connotation, vous me suivez ?
La porte claque derrière ses talons.
Il lui suffit de quelques minutes pour comprendre : on lui offre un avancement.
En d'autre terme plus concret elle est promu, pas comme le fut son défunt collègue mais plus comme l'on été ses supérieurs avant elle, chose qu'elle n'envisageait plus.
Qui dit hiérarchie dit plus de responsabilités donc plus de stress. C'est un cercle vicieux, un enfer "corporate".
Et il est trop tard pour reculer.
Une bouffé de chaleur l'envahie, fiévreuse, ses yeux s'embuent, de chaude larmes coulent de ses paupières en laissant sur ses joues une trainé de vapeur.
On croirait entendre une théière qu'on aurait oublié sur le feu.
Cherchant du regard, le grand patron se demande d’où provient le bruit, interroge l'assistante d'un sourcil levé.
Les brulures d'estomac de Amanda se font plus violente que jamais, martèle dans son ventre jusqu’à ce qu'il implose.
Du plus profond de ses tripes le feu se propage, ses cheveux, ses vêtements s'embrasent.
Autours d'elle, ses collègues de travail n'osent la toucher, ils assistent impuissant à cette combustion spontanée.
Manifestation physique du burnout qui l'a consume jusqu'à la calciner entièrement.
Il est déjà trop tard lorsque l'alarme incendie retentit, prés de son corps, sur la moquette, une flaque de café s'agrandit, comme une marée noire sur une plage de sable fin, alors que la braise incandescente de sa cigarette, scintille encore dans son regard lointain.