mercredi 14 février 2024

Tous les mêmes


"Thomas" ne pouvait s'en empêcher.
Fallait voir, comment il se comportait sans sa femme pour comprendre, qu'il était un monstre en laisse quand il était avec elle. Être infidèle était sa manière bien à lui d'échapper à l'ennui d'une vie bien rangée : marié depuis plus de 20 ans avec la même femme avec laquelle il avait 2 enfants maintenant adolescents, une maison, 2 voitures et 1 chien. En février des vacances enneigés dans les Pyrénées et en juillet un séjour à l'étranger. Entre ces deux périodes, il fallait combler. Son travail, pour lui, manquait d’intérêt depuis qu'il était affecté au poste de directeur. Il n'y avait plus d'objectif, maintenant qu'il avait atteint le sommet. Cette pensée aurait pu donner le vertige à quelqu'un de moins orgueilleux et de plus mesuré, mais ce n'était pas le cas de Thomas. À ce propos, Thomas c'était comme ça qu'il se faisait appeler sur les sites et applications de rencontre, mais son vrai prénom était Laurent.

Bien que ce soit son visage sur les photos de son profil, il empruntait pour son pseudo le prénom de son meilleur ami, adjoint et confident. Laurent donc, avait l'art de se mettre dans des situations compliquées. Il vous le concéderait lui même, s’il faisait tout ça, ce n'était pas tellement pour le sexe.
Mais plus pour l'adrénaline que la situation lui provoquait, ce petit frisson qui fait accélérer son pouls, redonne une pulsation de vie à son cœur qu'il croyait presque mort. En plus de son gout du risque, il avait aussi un penchant pour les belles femmes et il savait que pour les appâter il fallait employer les grands moyens. Il le savait, avec elles, dire la vérité ne l'aiderait pas à obtenir ce qu'il veut. Des hommes prêts à les satisfaire formaient déjà une file d'attente. Ces femmes, bien que célibataires, ne sont pas pour autant désespérées. Ce n'était pas aussi facile que quand il était ados, ou il suffisait de sortir un beau discours voir même un "je t'aime" pour emballer. Il lui fallait sortir le grand jeu pour la convaincre. Le problème c'est qu'une fois qu'il a tout fait pour l'avoir, qu'il l'obtient enfin ce qu'il désire, il s'en désintéresse. Entre-temps la femme tant convoitée a fini par s'amouracher, elle devient envahissante et parfois imprévisible. Certaines se mettent à l'appeler chez lui, d'autres à passer à l'improviste à son boulot pour lui faire une "surprise". À partir de là, nécessairement il doit s'en débarrasser. Vous l'aurez compris la franchise n'étant pas son fort et au vu du risque que comporte la vérité, il préfère élaborer des stratagèmes de dissuasion voir de dégouts.

Par le passé, il avait déjà essayé la méthode de l'enfant autiste serial killer en devenir. Alors qu'il recevait un énième appel inopportun de sa conquête, il improvisa une situation au téléphone.
"Oh non tu m'as encore ramené un oiseau mort!" lança-t-il à haute voix hors du combiné. De l'autre côté du téléphone, la femme devait surement croire qu'il s'adressait à son chat jusqu'à ce qu'elle demande curieuse "Tu ne m'avais pas dit que tu avais un animal de compagnie?".
Et à lui de répondre "Heu...non, attends, j’ai un problème avec mon fils! Rappelle-moi plus tard chérie s'il te plait." Bien entendu, elle ne le fit jamais.

Dans le même genre, il inventa une autre supercherie, celui de la femme "handicapée". Pour se débarrasser d'une amante un peu trop collante, il eut l'idée de lui envoyer plusieurs photos de sa femme, dont une qu'il avait prise à Noël dernier. Sur l'image on pouvait voir cette dernière posant avec ses cadeaux où on la voyait assise dans un fauteuil en cuir et portant une paire de chaussons neufs. La maîtresse ne mit pas longtemps à remarquer que sur toutes les photos sa femme était en position assise et que ses chaussures n'étaient jamais usées. Prise de remords, elle ne donna plus de nouvelles à Laurent.

Il avait aussi échafaudé un autre subterfuge, celui-ci était bien plus complexe que les deux précédents, mais diablement efficace. Cela consistait à faire croire à sa liaison qu'il était initialement homosexuel, mais que sa rencontre avec elle le faisait douter. Une fois sa crampe tirée, il retournait sa veste en disant que "finalement c'était une erreur, qu'il avait essayée, mais qu'il ne peut pas lutter au fond de lui même, il le sait, il est gay".

Malgré tous ces précédents, il se retrouvait une nouvelle fois dans cette situation. Pourtant, il avait bien préparé le terrain avec Nathalie. La tactique qu'il avait élaborée se résumait à mettre l'accent sur la pression familiale suite à une séparation récente avec sa femme. Il expliqua à sa maîtresse comme quoi sa fille à Noël lui aurait dit "Tu sais papa, mon plus beau cadeau serait que tu te remettes avec maman". Et rebelote au Nouvel An, sa gamine lui avait sois disant souhaitée cette même résolution.
S’il y avait bien une chose sur laquelle il ne mentait jamais, c'était sur le fait qu'il soit père de famille, à un certain âge, il le savait, cela n'était que peu crédible.

C'est ça qui avait plu et convaincu à une Nathalie complètement désabusée. Elle qui au début avait cru être tombé sur un queutard de plus jusqu'à ce qu'il lui raconte "sa situation familiale" et "ô combien il faisait passer le bonheur de ses enfants avant toutes choses". Nathalie pensait avoir enfin trouvé cet homme qu'elle recherchait depuis si longtemps. Sans enfant, la quarantenaire avait priorisé sa vie professionnelle à sa vie personnelle au risque de passer à côté de belles rencontres. Mais aujourd’hui, alors qu'elle était déterminée à ne pas laisser filer Laurent, ce dernier quant à lui, avait choisi de mettre un terme à leur relation. Comprenez par là qu'il avait fui lâchement sans explication. L'infidèle n'avait même pas pris la peine de soigner la mise en scène de sa disparition. Il aurait pu laisser un message sur son répondeur en pleine nuit, mais non, il s'était contenté de changer de numéro de téléphone. Enfin techniquement, il avait laissé la carte sim dans un vieux téléphone qu'il gardait éteint. De sorte à ce qu'il ne soit plus joignable, une fois le répondeur plein elle se ferait une raison et sa propre version de la vérité.

Cela faisait maintenant quelque temps que Laurent faisait profil bas où plutôt profil "désactivé" sur les sites de rencontres. Il était redevenu un mari aimant et vertueux, pour un moment seulement.
Les choses commençaient à se tasser et il allait pouvoir se remettre à la recherche de sa future conquête. Il était dans sa période brunette, la précédente Nathalie était rousse et sa femme était blonde. Avant ça, il avait eu des envies plus exotiques...filles de l'Est, asiatiques, africaines et métisses. Mais son obsession du moment était portée sur les brunes aux yeux noirs, les latines.
Bien sur, si une jeunette qui ne correspond pas à sa recherche venait à le liker voir le superliker, il ne bouderait évidement pas son plaisir. Et c'est exactement ce qui se passa. Son nouveau "match" était une petite blonde de l'âge de sa fille.
"Son petit abricot doit être encore tout rose pâle et ferme, je vais n'en faire qu'une bouchée". C'est la petite remarque à voix haute salace qu'il lâcha en parcourant les photos de son profil. À noter qu'il ne se saurait jamais permis de dire cela en parlant de son enfant.

"Bonjour Margaux, Slt Thomas
Comment vas-tu?
sa va et toi
Très bien, je sors du sport à l'instant.
Envoi une photo des tablettes de chocolat, j'ai un petit creu mdr
Tu es très mignonne sur tes photos. Tu as vraiment 21 ans?
oui pk
Je me demandais juste comme ça.
est toi 46 T vieu
Tu trouves?

Non je rigol  tu veu être mon sugar daddy?
Pourquoi pas ahah
Je m'ennui tu fait quoi ce soir
Rien de spécial de prévu et toi?
on peu ce voir si tu veu
Pourquoi pas, tu habites où?
Villejuif
C'est pas loin, je passe te prendre dans une heure si ça te va?
Ok mon num 0645234356
Je t'appelle quand je pars de chez moi bisous
"

"Elle est plutôt directe la gamine, j'aime ça! Reste maintenant à trouver une bonne excuse pour m'absenter. Je sais! Et si je prétextais une alarme déclenchée au bureau? Pour gagner encore plus de temps, je pourrais même justifier cela par l'attente du technicien. Bonne idée Lolo, fait donc ça!" se disait le père de famille en même temps qu'il enfilait une chemise propre. Il annonça à sa femme les raisons de son départ en catastrophe et pris le soin de préciser qu'il ne savait pas combien de temps il s'absenterait avant de franchir le pas de la porte. Dans sa voiture, il se parfuma et piocha un chewing-gum dans une petite boite qu'il porta à sa bouche. Il envoya un message via tinder et se mit en route.
Arrivé à Villejuif, il l'appela et il passa la récupérer à l'angle de rue convenue. "Salut daddy!" lui lança la jeune fille quand il ouvrit la fenêtre une fois arrivé à sa hauteur. L'espace d'un instant, il avait l'impression de faire monter dans sa voiture une jeune prostituée russe et comme si c'était le cas, il prit la direction d'un endroit tranquille de sa connaissance. Cette seule pensée déclencha une réaction dans le bas ventre de Laurent ou plutôt une érection. Elle était là, assise sur le siège passager, les jambes et la poitrine laissée nue par sa robe un peu trop courte et décolletée. Pour éviter de trop focaliser sur la peau aguicheuse de la jeune femme, il engagea la conversation timidement. Il réalisa alors que c'était plus facile sur les réseaux sociaux de discuter avec légèreté. Quelque chose le rendait mal alaise, ce n'était pas sa conscience vis-à-vis de ce qu'il s'apprêtait à faire, non, c'était autre chose.
La jeune femme, lui rappelait vaguement quelqu'un, l'avait-il déjà croisé avant? Mais où ? Elle aurait très bien pu être la fille d'un de ses collaborateurs? Ou bien même celle d'une de ses ex fréquentations sur tinder? Qui sait?!
La réponse ne tarda pas à se faire savoir lorsque la jeune femme reçut un appel pendant le trajet.
"Salut Victoria, c'est Margaux, ça va copine?"
L'énonciation du prénom de sa fille comme étant peut être l'interlocutrice de la jeune femme fit plus qu'attirer son attention, cela lui glaça le sang. Son érection retomba immédiatement. "Dis-moi, je me demandais si demain on avait bien amphi pour la socio à 11h?"
Laurent n'en croyait pas ses oreilles, avait-il bien entendu la  de sa propre fille voix résonner dans le combiné?
"Super bisous ma belle!" fit Margaux en embrassant le combiné avant de raccrocher.
Le père de famille qui conduisait avait du mal à garder son attention sur la route. Il avait envie de planter la voiture dans un mur. Margaux lui tendit le téléphone en lui disant "tiens tu veux dire un truc à ta fille?!"
Le véhicule pila net, Laurent était sidéré par la scène a laquelle il venait d'assister.
"Ne me regarde pas comme ça! J'aurais très bien pu prendre un selfie avec ta bite dans ma bouche et l'envoyer à Vicky!"
"TU N'ES QU'UNE PETITE SALOPE!"
"Dis donc on se calme hein?"
"QU'EST CE QUE TU VEUX?!"
La jeune femme replissa sa robe et sortit une cigarette.
"J'espère que ça ne te dérange pas" dit-elle en allumant une cigarette avant de poursuivre.
"Voilà, je veux que tu m'achètes tout ce qui est inscrit sur cette liste."
Elle lui tendit un petit bout de papier plié en quatre.
"Un sac Michael Kors noir, une paire de Balenciagas ou de louboutin?
Oui, c'est au choix. En taille 40 ?! J'ai de grands pieds et alors! Continue de lire, ce n’est pas fini!"
"Un iphone X rose, une Apple watch avec son bracelet Hermés, un Macbook pro, une carte cadeau victoria secrets, une mallette de maquillage professionnel de chez Mac, un appareil photo reflex avec un téléobjectif, rien que ça! Sinon tu ne veux pas aussi les clefs de ma 106?"
"Tu vois quand tu veux, tu as un peu d'humour daddy! Bien sûr, si tu ne le fais pas, j'enverrais un screenshot de ton profil tinder avec toutes tes photos et nos conversations.  Avec tes photos torses nues, ça va être compliqué de faire croire aux gens que ce n’est pas toi. Ton téton en moins, c'est pire que si tu avais un tatouage sur le pec. Réjouis-toi, ça te coutera toujours moins cher qu'une pension pour tes enfants et un divorce.
C'est donnant donnant, regarde. Avec tout ce qui est dans cette liste, je serais aussi gâté qu'une enfant du divorce et toi ça te permettra d'en éviter un.

Nathalie n'arrivait pas à s'en remettre. Laurent était tout pour elle. Bien qu'ils ne se connaissaient que de depuis quelques mois, leur relation avait pris un tel élan que les sentiments s'en étaient mêlés rapidement. Un véritable coup de foudre, une histoire d'amour comme on en voit qu'au cinéma, le genre de romance à l'eau de rose qu'elle ne croyait être jusqu'ici que des récits de fiction. Mais Nathalie ne le savait que trop bien, c'était trop beau pour durer. La célibataire endurcie avait envisagé plusieurs situations bien distinctes, du mari adultère qui a une femme au compagnon qui a des troubles de l'érection en passant par l'homme violent ou alcoolique. Elle s'était attendue à tout sauf à ce qui était arrivé : la disparition soudaine de Laurent.
Désespérée, Nathalie s'était tournée vers les voyantes et autres charlatans qui moyennant finance étaient prêts à vous raconter tout ce que vous voulez entendre, tous les contes et mensonges possibles et inimaginables. Cependant, la presque veuve était à la recherche de la vérité, c'est tout ce dont elle avait besoin pour faire le deuil de la situation. Pour cela elle était allée au commissariat sans toutefois trouver de réponse à ses questions. Et c'est un peu désemparé, qu'elle se tourna vers un détective privé. Je vous arrête de suite, n'allez pas imaginé un petit cabinet avec une porte en bois vitrée sur laquelle serait inscrit "Le furet enquête privée".
De même que l'homme qui l'accueilla ne portait ni trench ou imper couleur sable, ni chapeau brosalino ou fedora, cela dit il fumait énormément, c'était là le seul aspect qu'il avait en commun avec les personnages de fiction qui faisait la réputation de la profession.  À ce titre, il ne fumait pas la pipe comme Sherlock Holmes ni des cigares à la Colombo, non, notre détective était un homme de son temps, il utilisait une cigarette électronique. Quand Nathalie entra dans son bureau, elle exposa son problème au détective tout en tentant de retenir sa détresse. En guise de réponse Le furet, Nicolas de son prénom, plissa les yeux en tirant de grosse bouffée de fumé blanchâtre sur sa vapoteuse. Pendant un court instant, il considéra son interlocutrice en la déshabillant du regard. Son instinct de prédateur lui désignait une nouvelle proie. Par expérience, il le savait les veuves plus encore que les femmes trompées étaient faciles à séduire. Quand l'une avait besoin de se venger, l'autre aspirait juste à être réconforté. Le privé fut interrompu dans sa rêverie perverse par la sonnerie de son téléphone - un thème à la mélodie jazzy joué au saxophone - qui aurait très bien pu être utilisé comme le générique d'une série télévisée dont il serait le héros. Il regarda sur son appareil, pris l'appel en couvrant sa bouche avec sa main et murmura : "je ne peux pas parler là, je suis encore au boulot, on se voit ce soir au club."
Le furet eut un petit sourire en coin en raccrochant et inspira à nouveau dans sa cigarette électronique. Son attention toujours un peu distraite, il se saisit d'un petit carnet et d'un crayon à papier pour prendre des notes.
"Asseyez-vous, je vous en pris mademoiselle, mettez-vous à l'aise."
"Mademoiselle?! Vous rigolez j'ai la quarantaine passé."
"On est jamais trop âgée pour un compliment. Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire rougir!"
Mal à l'aise, elle ne put réprimer un sourire gêné.
"Je vous sers un verre d'eau?"
Nathalie refusa poliment d'un geste de la main.
"Bon, je vais avoir besoin de quelques informations pour commencer mon enquête.
Le nom, prénom de la personne que vous recherchez, sa dernière adresse connue, son numéro de téléphone et une photo si vous avez ça?
"
"Tout est là." Elle lui tendit une enveloppe.
"Super! Par contre je suis désolé, je vais devoir écourter notre entrevue, j'ai un rendez-vous en ville juste après."
Le détective se redressa, regarda sa montre et enleva son tee-shirt dévoilant ainsi un torse aux muscles encore bien dessiné pour son âge. Nathalie détourna le regard par pudeur, mais curieuse elle se laissa aller à regarder du coin de l’œil. Soudain prise de culpabilité, elle se souvint pourquoi elle était venue ici : retrouver son Laurent bien aimé. Le furet qui ne ménageait pas ses effets prit tout son temps pour enfiler sa chemise à la manière d'un stripteaseur. Ce dernier se rapprocha pour attraper son sac de sport noir qui trainait sous le siège de sa nouvelle cliente. Et quand elle se redressa pour lui faciliter le passage, ils se frôlèrent, se regardèrent l'un l'autre comme s’ils allaient s'étreindre.
Ils n'avaient pas besoin de se le dire, il y avait quelque chose électrique entre eux...mais il y avait bien un "mais" ou plutôt un "mec" celui que le détective était engagé à retrouver.

"Thomas", enfin Laurent avait déjà repris ses mauvaises habitudes. Bien sûr, il était sur ses gardes, encore, plus qu'auparavant. Mais comme je vous l'ai déjà dit en début de nouvelle, il ne pouvait pas s'en empêcher. Néanmoins, il avait mis de côté les sites et autres applications de rencontres. À la place, sa stratégie nouvelle s'orientée autour de son carnet d'adresses et ses vieilles, très vieilles connaissances. Dont l'une d'elles avait répondu partante, en la personne de Claire, 62 ans. Une fréquentation qui avait cessé du jour au lendemain suite à une expérience un peu particulière que Laurent semblait avoir momentanément oubliée. Pourtant à l'époque, la chose l'avait plutôt marqué et c'est peu dire, il avait perdu un téton dans l'histoire. La cougar était adepte de pratique BDSM un peu extrême. Ceci expliquait en partie qu'elle avait attaché Laurent au lit et l'avait gentiment torturé avec une pince. Malgré que le mot de passe fut répété jusqu'à être hurlé, le signal n'avait pas été entendu par sa vieille connaissance, en effet la cougar était atteint de surdité. En dépit de cet épisode douloureux - qui semblait-il n'avait pas laissé de souvenir traumatisant outre l'imposante cicatrice - Laurent se retrouvait une nouvelle fois au lit avec Claire. Pour sa défense et si ça peut vous aider à le comprendre, notre homme accumulé énormément de frustrations sexuelles depuis quelque temps.
Sans compter qu'il avait besoin "d'évacuer toute cette tension" qu'occasionnait le chantage de la jeune Margaux. Et puis il avait une revanche à prendre sur le lit à baldaquin de Claire qui semblait s'être mué exceptionnellement en cage de MMA. Alors qu'il lui assenait des coups de reins comme autant de coups de poing, la cougar prenait son pied, mais semblait toujours autant insatiable. Intérieurement, il souhaita la baiser si violemment que cela provoquerait un infarctus ou un AVC à sa partenaire. Hélas, plus il y allait fort et plus elle prenait du plaisir. Cela exaspéra tellement notre homme que ça sa soif de domination se mua en une colère sourde. Il en perdit son sang froid, il ne contrôlait plus ses gestes. Laurent qui exécutait une levrette un peu étrange - sa partenaire avait la tête enfouie dans le matelas et maintenue ainsi par le pied de ce dernier appuyé sur sa joue - la sodomisa profondément pour assoir son autorité. Totalement soumise, elle s'abandonna et ne put contenir le geyser de sang et de merde qui jaillit par son anus. Dans la panique et en voulant certainement reboucher brutalement l'orifice, il se péta littéralement la bite.

Le Furet avait retrouvé la trace de "Thomas" facilement.
Sans dévoiler les astuces du détective, il avait déduit que le prénom donné à sa cliente était faux. Pour se faire, il prit contact avec une connaissance qui travaillait justement pour l'opérateur téléphonique auquel était rattaché le numéro. Moyennant un petit billet, celui-ci lui communiqua l'identité et l'adresse du client à laquelle était déclarée la ligne. Tout cela avait permis à l'enquêteur privé de prendre "le disparu" en filature de son domicile à celui de sa maitresse et jusqu'à l'hôpital. Aux urgences, une poche à glace sur ses attributs, Laurent attendait le résultat de l'échographie. Quand le médecin revint enfin vers son patient, il lui diagnostiqua une fracture du pénis, le syndrome de l'aubergine. C'est à ce moment bien précis, quand Laurent était le plus vulnérable que le détective et sa démarche nonchalante entrèrent en scène.
"Je ne m’attendais pas à vous rencontrer dans de telles circonstances"
"Pardon?!"
"Faut dire que c'est un peu cocasse ce qui vous arrive."
"Je suis tombé à vélo..."
"Va falloir trouver une meilleure excuse/histoire à raconter à votre femme. Si je peux me permettre un petit conseil...aujourd'hui, vous avez la bite pétée, mais demain à trop jouer avec le feu, vous allez tomber sur une folle qui vous l'arrachera en vous suçant pour se venger!"
"Mais vous êtes qui au juste ?"
"Votre meilleur ami en ce moment, c'est moi qui vous le dis!"
"Ha bon?"
"Parce que les vrais amis sont là quand on est dans la merde et visiblement ça semble être votre cas" Le Furet lui tendit sa carte de visite avec un sourire en coin.
Laurent lu la carte à voix haute "Détective privé?"
"Exact, croyez-le ou pas, je peux résoudre tous vos problèmes!"
"Et vous comptez vous y prendre comment?"
"Déja il faudrait par finir ce que vous avez commencé..."
"Cet à dire" Laurent coupa le détective.
"Votre idée de vous faire passer pour mort aux yeux de Nathalie n’était pas si mauvaise en soi, je dois bien l'avouer, mais il fait amateur. Tout ça manque de preuve.
C'est pourquoi je vous propose de me procurer de faux documents comme un dossier médical et un acte de décès que je fournirais à ma cliente. Je peux même produire un journal réédité daté d'y a deux semaines avec une rubrique nécrologique modifiée. Tout est possible, c'est vous qui voyez. La limite, c'est ce que vous permet votre budget
."
"Et justement, ça va me couter combien tout ça?"
"Bien évidemment, tout ça à un certain prix vous l'imaginez et puis ce n'est pas sans risque non plus. Je peux perdre mon assermentation"
"Combien!"
"Disons 6 000 euros et considérez que je vous fais un prix si vous me garantissez de ne jamais plus rentrer en contact avec Nathalie."
"Est-ce que j'ai vraiment le choix?!"
"C'est vous qui voyez! On peut également pousser le concept encore plus loin, on pourrait par exemple acheter un caveau/emplacement dans un cimetière ou une concession funéraire, mais là encore cela va faire augmenter la facture comme vous l'imaginez. Voyez ça comme un investissement, au lieu d'acheter un studio ou des places de parking, la au moins ça sera rentable après votre mort. L'avantage c'est que vous ne payerez pas de frais de copropriété. Et pas de problème de voisinage bruyant non plus à prévoir!
"J'ai encore un autre problème à régler, quitte à faire appel à vous autant me débarrasser de tout."
"Je vous écoute, Laurent."
"Y a une copine de ma fille, elles sont à la fac ensemble, qui me fait du chantage depuis qu'elle a trouvé mon profil sur tinder..."
"Ok, il va falloir que vous procuriez son identité et son numéro de téléphone."
"Je peux vous avoir ça."
"Super! Pour le reste et les détails, on verra plus tard."
"Qu'on soit bien d'accord, toute cette histoire sera notre secret!"
Le Furet fit un clin d'oeil et mima une fermeture éclair imaginaire sur sa bouche en signe d'approbation avant de s'éloigner.
"On se recontacte, tombeur!" lança-t-il à Laurent puis tira sue sa vapoteuse et recracha la fumée en murmurant pour lui "Tu t'es bien fait baiser!".
Non loin de là, mais à une distance suffisante pour ne pas se faire repérer, la femme de Laurent assistait à la dernière interaction des deux hommes. Du peu qu'elle avait pu observer, Sarah se fit un avis bien tranché de la situation. Bien qu'elle était sous le choc de cette révélation, elle n'était pas complètement surprise par la nouvelle non plus. En effet, avant ça Sarah était déjà en proie à un doute grandissant sur la question. Ce qu'elle venait de voir en était simplement la confirmation : Laurent, son mari était un homo qui affectionnait les pratiques sados masos.
Depuis quelque temps, elle avait remarqué des petits changements dans son comportement : il prenait plus soin de lui et avait renouvellé entièrement sa garde-robe.
Logiquement, à l'époque Sarah avait imputé cela à une crise de la quarantaine.
Et quelle triste ironie, pour cette femme qui plaisantait souvent avec son mari, sur le fait qu'il se découvrirait homo à la quarantaine!
Si un jour on lui avait dit que cela se réaliserait, elle ne l'aurait pas cru, elle en aurait même rigolé.
C'était peut-être ça le pire dans l'histoire. Sarah ne lui en voulait pas autant qu'elle s'en voulait à elle même de ne pas l'avoir vu, alors que c'était juste sous ses yeux.
"C'est vrai qu'il m'a trahie, mais ce n'est pas comme s'il l'avait fait avec une femme plus jeune et plus jolie.
Bien sûr, ce n'est pas très flatteur de savoir que son, mari s'est détourné des femmes pour les hommes.
" Se consola-t-elle.
Chacun sa façon de voir le verre, à moitié vide ou à moitié plein. La femme de Laurent poursuivit son introspection durant le trajet de retour au foyer familial. Elle estimait qu'il avait été plutôt discret pendant toutes ces années...à vrai dire elle ne s'était jamais trop posé de question sérieusement, sauf peut-être cette fois où il s'était arraché la moitié d'un téton "en se rasant". Sarah en avait presque pitié de lui, elle s'imaginait qu'il devait tellement se détester au fond de lui même, à se livrer une vraie bataille intérieure pour lutter contre sa vraie nature. Tout ce machisme et cette virilité exacerbée n'étaient en fait qu'une façade selon Sarah. Quoi qu'il en soit, sa décision était prise et cela était mieux pour lui comme pour elle. Sarah n'allait tout de même pas attendre qu'il fasse son coming out et devenir ainsi la risée du voisinage. À peine Laurent avait-il mis un pied au-delà du pas de la porte qu'il entendu son prénom que sa femme appelait depuis la cuisine.

Sarah l'attendait attablée dans une ambiance tamisée par la lueur des chandelles.
"Coucou ma chérie, quelle surprise! tu as fait quoi à manger ?"
Il traversa la pièce avec sa veste devant lui pour cacher son entre jambes.
"Alors en entrée nous aurons des aubergines grillées suivies de croques monsieurs et pour le dessert des bananes flambées! C'est à ton gout mon chéri?"
Le mari adultère se sentait pris au piège, il voulut desserrer son nœud de cravate, mais ses mains tremblaient trop pour y parvenir.
"Je suis passée à la boulangerie pour acheter des pâtisseries, mais ils n'avaient plus de "divorcés" alors je n'ai rien pris."
Si avec ça, Laurent n'avait pas compris le message...cependant sa tactique consistait quand même à faire l'ignorant. Avec un peu de chance et un bon concours de circonstances, il espérait même se faire passer pour innocent. Laurent n'était pas du genre à avouer ses méfaits par culpabilité. Non, il était de ses personnes qui le nez dans la merde vous affirmerez que c'est de la mousse au chocolat.
Au passage, c'était son dessert préféré, mais hélas pour lui, ce n'était pas au menu de ce soir.
Sa femme le connaissait par cœur et savait par conséquent que tant qu'elle ne provoquerait pas la discussion, son mari ferait comme si de rien n'était. Après tout, tant qu'il ne passait pas aux aveux, il n'était pas coupable. Summum de la vilenie, il se terrait dans le silence.
Aussi lâche qu'inutile, cette stratégie - si un jour avait-elle marché ? - ne le tirerait pas d'affaire cette fois. Cependant elle lui éviterait peut-être de s'expliquer. Et c'est bien cela qu'il essayait d'éluder, car il le savait bien, aucune des justifications qu'il avait inventées n'était suffisamment crédible pour convaincre sa femme. Quand Sarah lui balança tout ce qu'elle savait, malgré les cris, les pleurs et les assiettes cassées il fut presque soulagé d'apprendre qu'elle (ne savait pas la vérité) s'était trompée.
Bien sûr, il allé devoir galéré pendant quelque temps, mais le pire allait être évité. Enfin, si le détective s'occupait correctement du problème avec Margaux, la petite jeunette, la copine de Fac sa fille.
Après avoir traiter de tous les synonymes et insultes faisant référence à l'homosexualité - ce qui il faut l'avouer était une sacrée punition pour notre hétéro macho - son mari, Sarah décida d'aller se réfugier chez sa sœur et claqua la porte de la maison. Laurent entendit la voiture démarrée en trombe puis pilée brusquement  suivie d'un grand bruit métallique.

Le détective Le Furet avait donné rendez-vous à Nathalie dans un café en prétextant un compte rendu d'enquête. Pourtant, une fois sur place la quarantenaire n'avait pas l'impression qu'elle était conviée pour parler de la disparition de "Thomas". Bien au contraire, l'enquêteur semblait jouer la carte séduction avec sa chemise déboutonnée qui laissait entrevoir ses pectoraux.
Ce qui attira particulièrement l'attention de sa cliente, c'était l'élégant costume sombre dont il était vêtu, lui qui d'habitude portait un jean et tee-shirt. Et bien qu'elle trouve très séduisant dans cet apparat, elle sentait que tout cela était de mauvais augure. Le Furet avait amené avec lui un joli bouquet afin de tester les réactions de la quarantenaire. Pour le moment, il tâtait le terrain à défaut d'autre chose. Sa manœuvre était simple, si Nathalie lui demandait pour qui étaient les fleurs, cela voudrait signifier qu'elle est ouverte à la séduction. Dans le cas contraire, cela indiquerait qu'elle était encore trop endeuillée pour s'en rendre compte auquel cas il les lui donnerait pour déposer sur la tombe du défunt. Une fois leurs cafés consommés, Le Furet en parfait gentleman régla l'addition et suggéra une balade dans le quartier. Nathalie ne tarda pas à voir ses craintes se confirmer quand elle comprit qu'ils prenaient la direction du cimetière.
Ce n'était pas le meilleur moment et pour plusieurs raisons :
La première étant qu'elle gardait encore un infime espoir de le retrouver vivant, la deuxième à cause de ce gros nuage noir menaçant qui était au-dessus de leurs têtes.
Notre détective séducteur avait pensé à tout, ne soyez donc pas surpris de savoir qu'il l'invita Nathalie à s'abriter sous son parapluie. La pluie battante appuyée par de puissantes bourrasques de vent encourageait la jeune femme à se blottir contre le détective. Parce qu'elle se sentait protégée, il l'a pensé vulnérable et espérait bien profiter de la situation.
Avant de franchir les grilles du cimetière, le détective s'arrêta et lança un regard désolé à sa cliente.
"Je suis navré Nathalie, les réponses que vous attendez ne sont pas celles que vous espériez..."
Ils avancèrent dans les allées de tombes jusqu'à arriver à une stèle fraichement fleurie située un peu à l'écart, sur une parcelle vierge. Sur le marbre est inscrit "Thomas VERDIER 1967-2019".
Une fois de plus, Le Furet avait anticipé ses besoins en sortant un mouchoir de sa poche. Et ce simple geste marqua le début des pleurs de la désormais célibataire.
"J'ai pensé que vous aimeriez déposer des fleurs, si vous voulez inscrire quelques mots sur la carte, je dois avoir un stylo..."
Le détective retira sa
main empathique posée sur l'épaule de sa cliente et de l'autre lui tendit le bouquet. C’en était trop pour Nathalie qui s'effondra à genoux comme sous le poids de sa tristesse.
Naturellement, Le Furet proposa de la raccompagner chez elle et à sa plus grande surprise cette dernière préféra un endroit dans lequel elle n'avait pas de souvenir avec Thomas. C'est donc en toute logique qu'ils se retrouvèrent chez le détective.
Une fois dans l'appartement de ce dernier, les choses prirent une tournure "presque" inattendue pour le détective. La quarantenaire lui sauta littéralement dessus, arrachant pratiquement ses vêtements en l'embrassant. Expert, Le Furet glissa ses doigts entre les jambes de la belle et constata que ses dessous étaient trempés. Alors qu'il commençait à la tripoter, elle s'ouvrir comme une fleur et fit de petits gémissements. C'est à ce moment précis que l'homme malicieux décida de s'interrompre pour demander : "Je ne voudrais pas que tu penses que je veux profiter de ton deuil pour coucher avec toi, Nathalie. Si on le fait, je veux que ce soit parce que tu en as vraiment envie."
"Non, ne t'inquiètes pas, j'ai juste besoin de me défouler, de passer à autre chose, d'oublier."
"C'est cool, alors vas-y utilise moi!"


Laurent ne pouvait plus faire machine arrière, il ne disposait plus de plan de secours, ils les avaient tous épuisés, de B jusqu'à Z.  Depuis qu'il s'était fait passé pour mort auprès de Nathalie, une série d'événements infortunés l'avait frappé. Chaque coup du sort semblait faire écho avec une certaine ironie à son comportement passé. D'abord sa femme qui se retrouvait handicapée, puis son fils qui se la jouait pervers sexuel dans les toilettes de l'école, ce serait quoi ensuite?
À ce sujet, la directrice avait convoqué Sarah et Laurent et c'est pourquoi ce dernier venait chercher sa future ex-femme. La pauvre en fauteuil ne pouvait plus se déplacer toute seule et c'est donc Laurent qui avait gardé le monospace depuis l'accident. C'était aussi l'occasion pour lui de venir souhaiter un joyeux anniversaire à sa fille. Hélas, entre son entreprise à gérer et les aller-retour de l'hôpital à chez lui, il n'avait pas eu le temps de trouver un nouveau cadeau. À la base il avait prévu de lui offrir une voiture pour ses 20 ans, mais dans de telles circonstances, vous imaginez que cela aurait était mal venu. Laurent s'excusa auprès de sa fille de ne pas lui avoir apporté de cadeau et celle-ci lui répondit que "son plus beau cadeau serait qu'il se remette avec sa mère".
Pris soudainement de sueur froide, le père bredouilla "Malheureusement ma chérie, tu le sais ça ne dépend pas que de moi" et une petite voie intérieure lui glissa ",mais c'est entièrement de ma faute".
Cette scène ne vous rappelle pas déjà quelque chose?! À Laurent, oui, cette ironie de situation résonnait en lui comme une bonne leçon de vie. Pour éviter le malaise, il s'isola dans le jardin pour passer un appel au détective.
"Où en sont mes problèmes?"
"Ne vous inquiétez pas, ils seront bientôt tous résolus...je vais m'en occuper ce soir, vous allez pouvoir reprendre votre vie d'avant."
"J'aimerais bien, oui."

Visiblement exténué, le mari raccrocha sans avoir mis un terme de façon courtoise à la conversation.
Le Furet ne lui tenu pas rigueur de cette réaction impolie, au fond il comprenait son client. Celui qu'il avait d'abord envisagé comme potentiel rival, jusqu'à ce qu'il s'en serve d'appât. Loin de culpabiliser, il n'avait en général que peu d'empathie et encore moins de conscience, mais avait développé pour lui une forme de sympathie. Après tout, il partageait également cette lassitude vis-à-vis de Nathalie, elle semblait plus séduisante et plus spirituelle tant qu'il ne l'avait pas baisé. Mais une fois que cela avait été fait, elle avait perdu toute saveur, elle était fade comme le fruit du dragon avant de le gouter pour la toute première fois. La verve attractive des discussions s'évanouissait, mais le fait est qu'elle n'était pas à la hauteur de ses promesses - qu'elle n'avait pas faite - y était pour beaucoup. Certes, elle avait un corps plaisant qui la faisait paraitre plus jeune, mais la quarantenaire ne savait apparemment pas s'en servir. À quoi bon l'expérience sans la maitrise, me direz-vous.
Pour vous donner un exemple : en levrette elle faisait le dos rond  et si elle vous sucez...he bien...elle le faisait dans le noir. Alors qu'avec son seul regard, en vous fixant droit dans les yeux, elle aurait pu vous faire finir. Et justement, en parlant de finir, Nathalie avait cette façon de jouir bruyamment - pour ne pas dire en hurlant - qui pouvait faire sourire la première fois, mais rapidement devenir insupportable. Un peu comme pourrait devenir agaçant une femme fontaine et le rituel du changement de draps à chaque fois. En bref, Nathalie n'était pas à la hauteur de ce qu'il espérait, Le Furet le reconnaissait, il s'était déçu tout seul avec ses propres attentes.

Sur le trajet pour la réunion avec le proviseur du collège de leur fils, un lourd silence demeurait dans l'habitacle. Laurent dont l'attention focalisée sur la route ne risquait pas d'être détournée par une discussion avec sa future ex-femme remarqua une voiture dans son rétroviseur. C'était la voiture de Nathalie, du moins elle était du même modèle et de la même couleur. Le véhicule gardait toujours une distance d'une vingtaine de mètres ce qui rendait difficile pour Laurent de voir qui l'a conduisait ou de lire la plaque d'immatriculation. Rien de sur cependant, il fallait qu'il garde son sang froid et ne cède pas à la paranoïa. Il se demandait depuis quand cette voiture était derrière lui.
 Le suivait-elle ? Ou était-ce une simple coïncidence?
Avec ce qui se passait dans sa vie ces derniers temps, il sombrait peu à peu dans la paranoïa la plus totale. Laurent ne pouvait pas se permettre une énième situation problématique. Il accéléra pour franchir le feu qui passait du orange au rouge et freina d'un coup sec en voyant une voiture de police qui attendait à l'angle. Sarah engueula violemment Laurent, mais ce n'est pas pour cela qu'il porta ses mains à son visage comme pour se protéger. C'était pour cacher sa tête, car la voiture de Nathalie était arrêtée à leur hauteur et il ne voulait pas qu'elle le voie. Laurent avait peur d'être démasqué.
Mais pour la première fois depuis bien longtemps, la chance lui sourit. À son plus grand soulagement, la quarantenaire ne fit pas attention et redémarra tranquillement. Il l'a regarda s'éloigner comme si elle était un fantôme alors que si vous avez bien suivi, techniquement ce serait plutôt lui, le spectre.

Nathalie était en route pour le cabinet du détective, elle aimait bien faire des visites à l'improviste.
Une petite surprise de temps en temps, pour elle, était nécessaire pour entretenir la flamme.
Le Furet avait réussi à rentrer en contact avec la mère de Margaux et l'avait convaincue de venir avec lui à son bureau. Il l'avait attaché et suspendu au-dessus du sol à l'aide de grosse corde. L'enquêteur envoya une vidéo prise avec son téléphone à son client. Évidemment, Laurent exultait, il tenait sa revanche et transféra sans tarder la chose à celle qui le faisait chanter depuis le début. Dans son message, il avait joint à la vidéo cette légende : "Finalement Margaux, tu devrais être contente. Tu vas devenir à ton tour une enfant du divorce."
Sur l'enregistrement on pouvait entendre - bien qu'elle soit bâillonnée - les gémissements de douleurs plaisantes et plaisirs douloureux de sa mère. Depuis la pièce attenante au bureau faisant office de salle d'attente, Nathalie qui venait d'arrivée croyait entendre ce qui n'était pas des pleurs de tristesse. Naïvement, elle pensa à un énième constat d'adultère puis regarda le gros sac de sport noir. Elle le reconnaissait, c'était celui que Le Furet emmenait pratiquement partout avec lui et il était partiellement ouvert. La quarantenaire jeta un coup d’œil furtif à l'intérieur, bien sûr elle ne voulait pas fouiller dans ses affaires, mais elle devait savoir, ne serait que pour se rassurer. Et quelle fut sa déception quand elle découvrit qu'il était rempli de sachets de lubrifiant et de sex-toys en tout genre. Folle de rage, c'est alors qu'elle fit irruption dans le bureau et surprit les obscénités auxquelles s'adonnait Le Furet. Nathalie n'en croyait pas ses yeux. Écœuré, la quarantenaire claqua la porte du cabinet en partant et soupira : "tous les mêmes".

mardi 16 janvier 2024

Ascenseur Social




"Bienvenue au Titanium center building, le bâtiment le plus moderne et le plus haut de l'histoire.
En effet, ce titanesque gratte-ciel mesure 966 mètres et possède pas moins de 201 étages, 66 ascenseurs et 3583 marches d'escalier.
Vous pouvez y trouver une clinique privée, des bureaux, des appartements, un hôtel, un casino et même 4 piscines.
Et bla et bla et bla bla bla"
C'est ce que vous raconteront les guides, lors d'une visite touristique de la tour.
Par contre si comme moi vous laissez trainer une oreille indiscrète et attentive au moindre bruit de couloir vous entendrez peut-être Philippe le vigile et Maria la femme de chambre, avoir une discussion en attendant l'ascenseur.
"Tu as vu, il parait qu'ils vont engager des grooms!
Oui, j'ai dit à mon cousin Santiago de postuler. Je pensais que ce métier avait disparu...
Tu ne dois beaucoup apprécie ton cousin. Ahaha.
Pourquoi tu dis ça?
Tu n'es pas au courant, Maria?
Non...dis-moi.
Il y a eu un gros incident ici ce week-end.
Ha bon? Je ne savais pas...
C'est pour ça qu'ils ont installé des trousses de premiers secours et qu'ils vont engager des grooms.
Mais qu'est ce qu'il s'est passé?"
La sonnerie et l'ouverture des portes de l'ascenseur viennent interrompre brièvement leurs discussions.
En rentrant, le vigile jette un regard suspicieux à la caméra puis poursuit à voix basse dans sa langue natale, espagnole.
"Des gens sont restés enfermés dans un ascenseur tout un week-end et se sont entretués. Parmi eux, y avait le grand patron, le propriétaire du bâtiment, c'est lui qui a payé pour le silence des médias, des victimes et leurs familles.
Oh mon dieu, qui c'est qui t'a raconté tout ça?
Le réparateur de l'ascenseur pardi! Il m'a confié que leur calvaire a duré du vendredi 16h au lundi matin 6h.

"Dans les bureaux du 104e aux 115 étages tout le monde quitte le boulot plus tôt le vendredi sauf Dwight.
Son statut de cadre ne lui imposait pas ce genre d'excès de zèle, mais ses ambitions carriéristes, si.
C'est pour cela qu'il se faisait un point d'honneur de toujours partir le dernier, au grand dam des agents de nettoyages qui appréciaient de faire leur travail sans se faire épier.
Parfois, Dwight était tellement absorbé par son travail qu'il en oubliait de faire ses besoins de la journée.
Inconsciemment, pour lui qui détestait utiliser les toilettes publiques, cela était un signe qu'il fallait partir.
Alors qu'il venait d'appuyer sur le bouton d'appel de l'ascenseur avec impatience, il entendit le chariot de l'homme de ménage arriver derrière lui et soupira.
Dwight, détestait devoir le partager avec quelqu'un. Ce moment de confrontation sociale aléatoire le mettait mal à l'aise.
Si il le  pouvait, il descendrait par l'escalier, mais c'est beaucoup trop long depuis le 108e étage.
Pour lui, c'était une raison supplémentaire de partir après tout le monde.
Quand la double porte automatique s'ouvrit, les deux hommes rejoignirent une jeune femme déjà à l'intérieur. 
Cette dernière les informa que l'appareil, étrangement, montait bien qu'elle ait demandé à descendre.
Pourtant ils le savaient tous, dans cet immeuble ultra moderne, les ascenseurs étaient équipés des dernières technologies, accès par badge, commande vocale, camera à reconnaissance faciale, etc.
Lucius, l'homme de ménage qui gardait toujours ses écouteurs vissés dans ses oreilles n'entendit pas l'avertissement.
Il pesta silencieusement lorsqu'il se rendit compte de la chose.
Quelques étages plus hauts, l'ascenseur s'arrêta à nouveau pour faire rentrer quelqu'un à la plus grande surprise de ses occupants.
L'homme avait les cheveux mi-longs plaqués en arrière, portait un costume trois pièces et des chaussures cirées.
Avec son style  "yuppie" qui n'était pas sans rappeler Patrick Bateman de American Psycho, Milton ne laissait personne indifférent dans l'ascenseur.
Nul besoin pour lui de laisser sa carte de visite.
Il était bien plus célèbre que le personnage du roman de Bret Easton Ellis.
L'homme de ménage, Lucius l'avait tout de suite reconnu et s'était bien gardé de le saluer.
Comme bien souvent il craignait de se faire ignorer, c'est pour cela qu'il écoutait toujours de la musique dans ses écouteurs.
À moins que ce ne soit pour une autre raison: Lucius gardait un souvenir amer de son entretien d'embauche.
Initialement, il avait postulé pour devenir le nouvel assistant de Milton et avait été recalé parce qu'il était soi-disant surqualifié ou surdiplomé.
Cependant, la direction des ressources humaines l'avait recontacté quelques jours plus tard pour lui proposer le job d'homme de ménage. Quelle sinistre blague.

Une odeur nauséabonde monta au nez du personnel d'entretien et le sortit de ses pensées.
Malheureusement habitué de par sa profession, mais pas accommodé pour autant à ce genre de puanteur. Il mit un instant à se rendre compte qu'il était enfermé dans une cabine d'ascenseur et non de toilettes. Apparemment et au vu des convenances et de la bienséance il n'était pas le seul.
Tous se couvraient la bouche et le nez, se regarder en coin suspicieusement à l'exception de Milton qui restait impassible. Neutre, sans expression comme une photo d'identité.
On pourrait presque penser qu'il portait un masque de chair figeant les muscles de son visage.
Alors que l'ascenseur descendait vers l'étage qu'il avait choisi, Lucius fit un pas vers la porte en poussant son chariot d'entretien. Ses chaussures de sécurité firent un bruit étrange, non pas un couinement plastifié, mais plutôt un son que l'on attribuerait (associerait) volontiers à des flatulences.
Tout le monde le regarda subitement.
"Surtout, ne vous gênez pas pour nous!" lança Dwight.
"Excusez-moi? Je..." essaya de répondre Lucius scandalisé.
"Oui, vous pouvez!" coupa Dwight.
"Mais arrêtez, ce sont mes chaussures qui.." expliqua Lucius en désignant ses pieds avec ses mains.
"Mon cul ouais!" rétorqua l'assistant du manager régional.
"Ne soyez pas idiot!" l'employé de ménage se redressa et vint coller son front sur celui de son interlocuteur.
"Arrêtez de m'insulter, racaille! Ça veut dire quoi tout ça? Vous pensez impressionner qui ici? Allez y frappez moi!" invectiva le cadre quadragénaire en le repoussant.
Voyant que les événements prenez une tournure disproportionnée, Milton fini par s'interposer entre les deux hommes.
"Continuez de faire comme si on n’était pas là, vous vous débrouillez très bien jusque là. Même pas un bonjour, quel snob!" dit-il en faisant bouger l'ascenseur
"Vous osez me faire des reproches sur ma politesse alors que...vous ne manquez pas d'air vous!
Tout ce mouvement fit tanguer l'ascenseur jusqu'à se provoquer son décrochage.
Les lumières s'éteignirent et le silence revint, du moins un instant.¨
À présent, seules les petites veilleuses d'urgence éclairaient la cabine.
Dwight tapota sur l'écran tactile et suscita l'assistance d'un technicien via la commande vocale sans succès.
Comme quoi, vous avez beau être dans l'ascenseur du building le plus moderne du monde, si il y a une panne d'électricité vous serez quand même coincé.
Il regarda son téléphone et constata comme les trois autres qu'il n'y avait pas de réseau mobile.

"Super! Nous voilà bloqués ensemble maintenant." s'exaspéra une voix féminine.
"Vous auriez pu prendre l'escalier madame, un peu d'exercice ne pourrez pas vous faire de mal!"
"À vous non plus, visiblement." Rétorqua Lucius pour prendre la défense de la jeune femme.
"Moi, je suis enceinte et vous c'est quoi votre excuse?...Gros con!" répliqua-t-elle en finissant sa phrase dans un murmure.
À ces mots Milton reconnus enfin à qui appartenait cette voix qui lui semblait si familière.
Elle avait beaucoup grossi depuis la dernière fois qu'il s'était vu, il y a quelques mois de cela, quand ils avaient couché ensemble.
C'était pour cela qu'il avait mis autant de temps à la remettre.
Il comprit mieux alors pourquoi la jeune femme semblait si embarrassée de le croiser.
À l'époque elle était encore son assistante.
Naïvement, elle avait surement espéré que le coup de bite se transformerait en idylle de conte de fées.
La version censurée Pegi7 de 50 shades au grey.
On ne pouvait pas la blâmer pour ça, sur les écrans c'est ce genre de rêve qu'on vous vend tous les jours.
Elle a seulement voulu le vivre en 4DX. Sauf que tout ça, c'est du cinéma, c'est pas pour rien que ces émissions s'appellent "télé-réalité" pour faire rêver les idiots.
Quelle fille n'a jamais souhaité trouver sur le prince charmant, comprenez par là : un beau gosse plein aux as.
Argent facile pour une fille qui l'est tout autant, prête à écarter les jambes devant le premier milliardaire venu.
Pourquoi courir après une promotion canapé quand on peut être sa partenaire de vie, sa femme, son égal.
C'est ça le féminisme moderne, l'heure n'est plus à l'émancipation.
Quoi de mieux qu'un bon contrat de mariage pour plumer son conjoint, gagner autant voir plus que lui.
Le hic c'est qu'elle n'avait très certainement pas lu toutes les petites lignes de son contrat de travail.
Alors que les avocats de Milton, eux, avaient envisagé le pire pour préserver les intérêts de leur fortuné client.

17H00

Et quelques mois plus tard, les revoilà à nouveau réunis.
Aussi heureux et piégés qu'un jeune couple devant faire face à une naissance non désirée.
La jeune femme enceinte, Melina de son prénom, senti de fortes contractions qui la poussèrent à s'accroupir contre un angle de la cabine.
Pratiquement aux termes de sa grossesse, elle avait de plus en plus de mal à rester longtemps debout.
Cela faisait presque 1h qu'ils étaient coincés là et toujours aucune une réponse du service de sécurité ni de la société d'exploitation, pas même un signe de l'extérieur.
Ils essayaient de garder espoir dans l'attente qu'une quelconque opération de sauvetage s'organise.
Lucius tenta de forcer l'ouverture des portes sans parvenir à ses fins.
"Vous vous fatiguez pour rien, entre deux étages il est impossible d'ouvrir les portes. Il y a un mécanisme de verrouillage extérieur" lui expliqua Dwight en se tenant la tête avec la main droite.
"Merci de votre aide." Répondit l'homme de ménage sur un ton sarcastique.

20H00

Si pour vous 20 minutes coincées dans un ascenseur vous paraissent interminables, alors imaginer des heures, surtout quand vous n'avez aucun interlocuteur extérieur.
Le stress commençait à largement se manifester chez chacun d'eux, sous différente forme.
Dwigt qui avait une envie grandissante de pisser tentait de se contenir en se tortillant sur lui même.
Quant à Lucius c'était de se retenir de fumer qui le rendait de plus en plus irritable et le poussait à se gratter les avant-bras compulsivement jusqu'au sang.
Son job "alimentaire provisoire" qu'il qualifiait de dégradant lui rappelait déjà chaque jour sa condition sociale.
Mais ajoutez à ça le fait d'être enfermé, cela ne pouvait lui évoquer que la terrible histoire de ces ancêtres.
L'esclavage, la traite des hommes de couleur, mais aussi plus récemment les dérives judiciaire qui conduisait les Afro-Américains systématiquement en prison.
Enfin quand ils avaient la chance selon lui de ne pas avoir été abattus par la police. C'était tout là, sa façon bien personnelle de justifier sa claustrophobie.
Tout tremblotant, il prit une cigarette dans son paquet et la porta à sa bouche puis sortit son briquet pour l'allumer.
Au moment où la flamme éclaira son visage, un souffle à l'haleine parfumée vient éteindre celle-ci.
"Qu'est ce que vous ne comprenez pas quand je dis que "je suis enceinte"?!"
Lucius, ignora la remarque et ralluma aussitôt la flamme de son briquet.
"C'est mauvais pour le bébé!"
"Vous dites ça comme si j'en étais le père, je n’en ai rien à foutre moi de votre bébé!"
À cette réplique Milton eut un rire soudain dans son coin d'ascenseur.
Melina lança un regard noir dans cette direction et arracha la clope au bec de son interlocuteur.
"En plus vous allez déclencher l'alarme incendie!"
"Justement, ça pourrait peut-être nous aider à nous faire remarquer." dit-il en tapant au plafond avec son balai pour faire du bruit.
"J'en doute fortement, vous allez surtout réussir à nous rendre sourds."
"C'est vous qui me cassez les oreilles!"
Sur ces derniers mots, il s'énerva tellement qu'il enfonça la trappe dissimulée sous les luminaires du plafond.
Lucius était suffisamment grand pour arriver à se hisser facilement par l'ouverture sans demander l'aide de qui que ce soit.
En posant ses mains malencontreusement sur une partie métallique en contact avec les câbles, il s'électrocuta mortellement.
Tout le monde cria de surprise et de terreur tandis que son corps brulant lentement de l'intérieur pendait par la trappe.

22H00

"Il y a comme une odeur de singe grillé ou de viande de brousse."
"Vous êtes répugnant de racisme."
"Arretez un peu, j'ai voyagé en Afrique et sur certains marchés je peux vous affirmer que c'est cette même odeur que vous trouvez là bas!"
Un moment passa où le silence se fit pesant, Dwight voulant briser la glace se hasarda alors à raconter une blague.
"Oh j'en ai une bonne là! Comment reconnait-on un noir calciné?...Non, personne?
À son odeur de poulet grillé!" S'esclaffa-t-il tout seul avant de reprendre.
"Sérieusement, j'en pouvais plus de lui, c'est tellement difficile de devoir mesurer chacune de mes paroles pour ne pas vexer ce genre de personne.
Ils ne sont bons qu'à se victimiser. C'est fatigant.
Enfin bon...On devrait peut-être le décrocher, non?" dit-il en se saisissant du balai.
"Je vous le déconseille, c'est le meilleur moyen de vous électrocuter aussi."
"Vous comprenez, je ne voudrais pas qu'on croit qu'il est mort pendu..."
"Vous êtes toujours aussi drôle?!" lança Melina sans attendre de réponse de son interlocuteur.

00H00

Les genoux serrés l'un contre l'autre, le buste penché en avant. Dwight se contorsionnait littéralement pour ne pas que sa vessie cède.
Mais il avait trop d'amour propre pour se pisser dessus alors il se résout à sortir son sexe et uriner dans le coin opposé à ses compagnons d'infortune.
Dans la semi-obscurité, Melina perçut comme une vapeur chaude et odorante de pisse et déclara :
"Vous ne pouviez vraiment pas vous retenir plus longtemps?
On ne sait pas combien de temps on va encore devoir attendre, on aurez pu avoir besoin de la boire. Vous êtes bête d'avoir gaspillé!"
"Je peux vous pisser dessus si vous aimez tant ça! Je m'en ferais un plaisir!"
Melina soupira de consternation et sentit une contraction plus forte que toutes celles qu'elle n’avait pu jamais avoir avant.
Elle se recroquevilla contre la paroi de l'ascenseur et lâcha prise.
À sa grande surprise et celles des deux autres occupants, elle venait de perdre les eaux.

05H00

En son fort interieur, Dwight s'interrogea, si les eaux n'étaient finalement pas un peu la même chose que la mouille abondante des femmes fontaines.
AAprès s'être égaré un instant dans ses pensées,  il provoqua une nouvelle fois la femme enceinte. 
"Vous auriez pu vous retenir, franchement!"
Melina était tellement en souffrance qu'elle n'avait même pas la force de lui répondre par une insulte entre deux gémissements de douleur.
Le sourire narquois du cadre quarantenaire disparu de son visage alors que le liquide initialement translucide se mêlait de sang, passait du rouge au brun en se rependant sur le sol.
À la faible lueur des veilleuses, il voyait la flaque sinistre progresser vers lui comme une ombre.
Pour y échapper, il recula sans regarder derrière lui et glissa dans sa propre pisse.
En voulant se rattraper pour ne pas tomber, il posa la main sur le cadavre encore électrique de Lucius.
Au même moment Milton eut le bon réflexe de pousser le chariot d'entretien pour faire barrage.
Il se saisit du balai serpillère qui trainait et épongea comme il pouvait le liquide sombre autour d'eux.

10H00

Milton redoutait que la vue du sang ne lui fasse tourner de l'oeil, mais se rendit compte, étonnamment, que cela provoquait l'effet inverse.
Associait à ça, l'odeur de chair brulée qui flottait dans l'air ne cessait de le rappeler à la faim qui le rongeait.
Bien malgré lui, il lorgnait vers la viande grillée des cadavres et avait le plus grand mal à le dissimuler lorsque son ventre grondait pour exprimer son appétit.
Les contractions devenaient de plus en plus intenses et rapprochées, Melina allait mettre bas et Milton devait l'assister.

14H00

Après des heures de travail, le bébé montrait pratiquement sa tête.
Et dire que les médecins de la clinique privée du 32e étage où elle avait rendez-vous un peu plus tôt dans la journée, avant de se retrouver coincée dans l'ascenseur, lui avaient dit qu'ils provoqueraient l'accouchement la semaine prochaine.
C'était un avantage que le comité d'entreprise octroyait à ses employés et la jeune femme n'avait pas les moyens de se payer de tels soins autrement.
La vie est étrange pensa-t-elle, il a été conçu dans cette tour et donc c'est tout naturellement qu'il doit y naitre.

17H00

Soudain retentit à l'unisson un cri déchirant, celui de la mère et de son nourrisson.
Une membrane céda comme un barrage, déversa tout son sang sur Milton.
Dans un dernier effort avant de mourir, Melina avait transmis sa vie, elle avait littéralement donné la sienne pour sa progéniture.
L'homme couvert de sang examina l'enfant qu'il tenait dans ses bras, envisagea de le dévorer, mais s'arrêta de respirer quand il remarqua que c'était un garçon.
Le bébé lui ressemblait trait pour trait, à un tel point qu'il lui était difficile d'en faire abstraction. Indéniablement, il le savait, c'était sa descendance, son héritier.
Il se souvenait avoir lu un article animalier qui disait en substance que chez certains mammifères, le réflexe physiologique du nouveau-né était de ressembler au male pour ne pas qu'il le tue.
Cela venait chambouler ses plans, tout ce qu'il avait prévu jusque là.
Il regarda autour de lui puis vers la caméra de surveillance, hésita un instant et tira sur le cordon ombilical encore relié au fœtus duquel pendait le placenta.
Le millionnaire planta sa bouche dans l'organe gorgé de sang, arracha un morceau de chair qu'il avala goulument et adressa un sourire à son fils le menton dégoulinant.
"Bonjour Otis" murmura-t-il d'une voix douce au nourrisson tout en agitant le doigt devant son visage pour attirer son attention.
L'avait-il baptisé ainsi en hommage à la société d'ascenseur dans lequel il avait vu le jour? Certainement.
Milton passa la main dans sa poche et en sortit une petite télécommande tactile sur laquelle il tapota plusieurs fois avant de la ranger.
Quelques instants après, les lumières et la caméra se rallumaient, le courant était revenu.
Les pompiers qui s'apprêtaient avec des outils de découpe et désincarcération à intervenir sur la cage d'ascenseur furent très surpris quand les portes s'ouvrirent d'elle même, automatiquement.
Mais ils l'étaient encore plus de découvrir ce qui se trouvait à l'intérieur : un homme au visage couvert de sang tenant dans ses bras, tout enveloppés dans sa veste de costume, un nouveau-né.
Ce dramatique incident, leur rappelaient les scènes de survivants lors de crash aérien dans une zone montagneuse.
Bien entendu, pas un journaliste n'a relaté les faits dans les médias, silence radio, de même pour les familles.
Ont elles été achetées? Personne ne vous répondra à cette question, sauf si vous pouvez payer plus que l'homme le plus riche du pays, en l'occurrence Milton."

Philippe, le vigile vérifia que sa radio n'avait pas été en porteuse pendant qu'il racontait cette histoire à la femme de chambre.
"Dios Mio" étouffa Maria dans un mouchoir qu'elle porta à sa bouche avant de poursuivre.
"Et qu'en est-il du petit Otis?
Tu ne vas pas le croire! Milton a décidé d'adopter le bébé plutôt que de la reconnaitre."
"Pas étonnant c'est plus simple pour lui juridiquement, enfin j'imagine."
Le vigile regarda l'oeil sombre de la caméra de surveillance et se demanda si quelqu'un derrière son écran l'observait.
Soudain, les lumières s'éteignirent et l'ascenseur se bloqua entre deux étages.
Philippe esquissa un sourire et lança à Maria :
"Je t'ai dit que j'ai mangé des fayots ce midi?"

lundi 1 mai 2023

Immolée

 

 


 Ce matin, en poussant les portes vitrés de l'immeuble dans lequel elle travaille, Amanda ne pensait pas tomber si tôt sur un de ses collègues.
Ou plutôt sur le cadavre de celui-ci.
Défenestré, pousser à bout, au bout du rouleau, il avait fait ce choix de prendre la fenêtre plutôt que la porte, bien que la veille son patron lui avait suggéré la deuxième solution.
Encore un, pensa-t-elle, en raccrochant le téléphone de feu son collègue alors même que l'interlocuteur à l'autre bout de la ligne s'impatientait.
"Ne quittez pas je reviens à vous tout de suite" avait-il dut répondre à son correspondant avant de s'élancer du 7em étage.

Le mois dernier c'était un collègue du S.A.V que l'on avait retrouvé pendu avec un câble téléphonique.
Gilbert lui qui ne parvenait jamais à trouvé ces mots sur les grilles du jeux du même nom. Le pendu. C'est bon vous saisissez?
Peut-être que l'idée lui était venu comme ça, lui seul le sait...savait.
Et encore avant, un employé s'était immolé par le feu dans les locaux.
Chose étrange, l'entreprise n'avait jamais fait l'objet d'une enquête pour licenciement abusif.
Après tout, les ruptures étaient non-conventionnelle mais bien consensuelles.
La seule mesure qui fut prise c'est d'embaucher une psychologue, elle même ne s’étant pas suicidé mais finit par se mettre en dépression.

Trois hommes rentrent alors dans "l'open space" encore endeuillé.
Les deux premiers en bleue de travail sortent leurs outils pour remplacer la fenêtre, tout comme le dernier arrivant qui dépose ses crayons sur le bureau vacant, renouant ça cravate avant de commencer sa première journée.
C'est le quotidien de cette grande entreprise, cette grosse usine à rêves brisées.
Bien sur avant d'en arrivé là il y a des paliers à franchir, une sorte de pyramide hiérarchique s'est formée pour définir qui sera le prochain.
Le tableau d'avancement est devenu une "death pool".
Et pas  besoin de le regarder ce matin pour savoir que les prochains a en bénéficier seront le service communication/relation presse.
Avec une nouvelle crise interne à gérer après le suicide, voilà de belles journées rallongés en perspective pour rassurer les actionnaires et l'opinion publique, préserver l'image de marque lisse et attractive. C'est le "burn out" assuré!

Du coup en attendant patiemment son tour, elle décompresse en fumant.
Il est important de préciser qu'en arrivant dans l'entreprise elle n'avait jamais fumé, hormis une fois adolescente pour essayer mais cela ne l'avais pas séduite.
Au bout d'un temps, elle finit par s'y mettre elle aussi.
Certainement frustré à force de rester seule assise dans une cabine de toilette pendant que les autres profité ensemble de leur pause clope.
Et puis dans le monde du travail, si vous n'êtes pas fumeur vous avez tout simplement moins de temps de pause cumulé, alors que vous n'êtes pas moins fatigué ou stressé qu'eux pour autant!
Le stress parlons en justement, il est présent sous toutes les formes, se manifeste sous de multiples signes physiques : ongles rongés, calvitie précoce (appelée aussi pelade), acné tardive ou eczéma, dois-je préciser que des rougeurs sur le nez sont plus souvent assimilé à autre chose comme de l'alcoolisme, rire nerveux, tremblement.
Si toutefois vous êtes sujet au débit régulier de blague salace sachez que ce n'est pas le stress, vous êtes juste un pervers. Désolé pour vous.
Il en est de même pour ceux et celles qui se masturbe inévitablement leurs bureaux, bien qu'il faut bien avouer que les endorphines générées par l'orgasme contribue à éliminer le stress.
Pour palier à tout ça, la nicotine et la caféine sont des moyens comme les autres, toutefois le mélange des deux n'est pas conseillé sinon vous pourriez cumulé trop de temps de pause partagé entre les toilettes et l'espace fumeur. Ce qui ferait inévitablement chuter votre productivité et vous attirer les foudres de votre N+1, le manager.
Sans oublier, que cela peut vous causer des brulures d'estomac, c'est d'ailleurs ce qui arrive à notre jeune femme régulièrement.
Elle a beau voir le médecin, suivre différente cure médicinale pour guérir ce mal, il perdure.
Peut-être qu'il faudrait qu'elle en parle à quelqu'un d'autre, comme une psy par exemple mais comme je l'ai dit plus haut celle-ci est en dépression, elle ne serait d'aucune aide.
Toutes ses choses qu'elle garde pour elle, qui l'a ronge de l'intérieur.
Elle pauserait bien un tickets maladie, mais faut il encore être vraiment malade.
Pour cela elle a pratiquement tout essayée : venir en mini jupe en hiver, embrassé les collègues contagieux, gardé les enfants de sa sœur tout un weekend, excepté essayer de se casser un membre, elle pourrait accidentellement passer devant la liste des postulants suicidaire.
De nos jours les sœur sont fréquents et les employeurs n’hésite plus à engager des détectives privés pour faire constater la fraude.
Et finir au chômage, serait pour elle pire que la mort, rester chez elle attendant dans l'antichambre de l'enfer.
Non, elle préfère de loin le surmenage et la charge mentale d'une boite mail pleine à craquer, d'une tapisserie faite de post-it annotés d’innombrables taches à effectuer ou d'un téléphone qui sonne sans discontinuer jusque dans ses cauchemars et viennent en pleine nuit la réveiller.

A un moment elle aurait pu être actrice de sa vie, faire le choix de partir et non celui de subir mais ses diplômes sont tombés en désuétude, plus personnes ne sait à quoi ils correspondent maintenant et son CV contient deux lignes. Sur le marché du travail, cela n’intéresse personne, en tout cas, c'est ce qu'elle se dit.
C'est tout Amanda ça, attendre que tout s'arrange tout seul, ne pas prendre de décision, de peur que ça aggrave la situation.
Elle préfère subir les choses que les affronter, cela lui ressemble plus.

Aussi, elle aborda le problème avec une autre approche : tenter de se faire virer, "to get fired" selon l'expression américain consacré par le milliardaire au pastiche, monsieur Donald Trump.
Cependant être un mauvais employé requiert une vrai discipline et de vrai compétence, contrairement à un manager. Il ne suffit pas de regarder "la stratégie de l’échec" pour le devenir.
En l’occurrence le proverbe "qui peut le plus peut le moins" ne s'applique pas à ce cas de figure.
Arrivé en retard, pas coiffé, les dents sales, des aureoles sous les bras, pas maquillé sauf si considéré des crottes sur les cils comme du mascara naturel, se laisser allez à lâcher des flatulences en réunion...Devenir plus misérable que jamais, sans toutefois tomber dans l'incompétence ou l'insubordination, flirter avec les limites de la discrimination...c'est ça le secret pour se faire licencier.
Pour elle, qui a déjà renoncé à sa dignité en acquiesçant à toutes les exigences de son employeur, chef de service et manager - chacun ayant toujours plus de consignes à transmettre - cela ne demandais plus d'effort supplémentaire.
Et jour après jour, elle se consume à petit feu, ses brulures d'estomac se faisant plus violente, les dents noirci par le café et le tabac, on croirait qu'elle est carbonisé de l'intérieur. L'odeur de tabac froid qui la suit partout ne saurait trahir cette impression.

Mais ses efforts finissent enfin par payer, c'est ce qu'elle se dit du moins quand elle se voit convoquer par le DRH.
Lorsqu'elle arrive pour son rendez-vous, une secrétaire derrière son bureau fredonne les paroles "libéré, délivré" sur l'air de la chanson de Disney en classant un dossier.
A sa grande surprise, c'est le grand patron en personne qui lui ouvre la porte, lui lançant un beau sourire, sans traces aucune de sadisme au coin des lèvres.
C'est bien ça qui l’inquiète, ça et le fait qu'il invite à s'assoir, il va même jusqu'à tenir le fauteuil pour cela.
Un fauteuil pas une chaise, cela n'a pas la même connotation, vous me suivez ?
La porte claque derrière ses talons.
Il lui suffit de quelques minutes pour comprendre : on lui offre un avancement.
En d'autre terme plus concret elle est promu, pas comme le fut son défunt collègue mais plus comme l'on été ses supérieurs avant elle, chose qu'elle n'envisageait plus.
Qui dit hiérarchie dit plus de responsabilités donc plus de stress. C'est un cercle vicieux, un enfer "corporate".
Et il est trop tard pour reculer.
Une bouffé de chaleur l'envahie, fiévreuse, ses yeux s'embuent, de chaude larmes coulent de ses paupières en laissant sur ses joues une trainé de vapeur.
On croirait entendre une théière qu'on aurait oublié sur le feu.
Cherchant du regard, le grand patron se demande d’où provient le bruit, interroge l'assistante d'un sourcil levé.
Les brulures d'estomac de Amanda se font plus violente que jamais, martèle dans son ventre jusqu’à ce qu'il implose.
Du plus profond de ses tripes le feu se propage, ses cheveux, ses vêtements s'embrasent.
Autours d'elle, ses collègues de travail n'osent la toucher, ils assistent impuissant à cette combustion spontanée.
Manifestation physique du burnout qui l'a consume jusqu'à la calciner entièrement.
Il est déjà trop tard lorsque l'alarme incendie retentit, prés de son corps, sur la moquette, une flaque de café s'agrandit, comme une marée noire sur une plage de sable fin, alors que la braise incandescente de sa cigarette, scintille encore dans son regard lointain.