samedi 18 octobre 2025

Ami(be)


Ça commence comme un rêve délirant sous stupéfiant, ou plutôt une descente psychédélique, en réalité tout dépend de votre humeur du moment.
Bref, Mathieu se réveille le cerveau embrumé par tout ce qu'il s'est envoyé dans le sang la veille, que ce soit par les narines ou par la bouche.
Il a quand même était porté par un éclair de lucidité suffisamment long pour l'aider à se guider dans la forêt et retrouver son camion aménagé avant le lever du jour.
Autre bonne nouvelle, pendant son sommeil, il ne s'est ni vomi ni chié dessus...pour le moment. Son ventre gargouille drôlement, lui ne semble pas avoir digéré le cocktail acide de la veille à base de LSD, bière et cannabis. Un borborygme grave s'échappe de ses entrailles à moins que ce soit le vrombissement du moteur du camion d'a coté qui démarre.
Ouais, c'est son pote Nico, avec qui il se lance dans un étrange concerto, un concours de flatulence précisément. Après 3 échanges, la surenchère amène Mathieu à puiser l'inspiration au plus profond de lui même, à la manière d'un saxophoniste il délivre un solo endiablé. On le croit un instant presque interminable, mais celui-ci finit par une explosion sonore.
Face à une telle prestation Nico ne peut que s'incliner hilare. Alors qu'ils se disent au revoir d'un signe de la main, Mathieu sent quelque chose de chaud et visqueux couler doucement le long de sa jambe à l'intérieur de son pantalon. Le temps que le camion de son pote quitte les lieux, Mathieu sauve les apparences comme il peut, le bouquet final a semblerait-il était un pet foireux. La seconde après son départ, Mathieu s'active pour trouver du papier toilette ou des mouchoirs. Habituellement il en a laissé toujours un paquet ou un rouleau dans le vide-poche de la porte coulissante, mais là il a dû oublier. Pas d'autres choix que de s'essuyer avec ses vêtements et les jeter à la poubelle en arrivant. Heureusement pour lui ça ne se voit pas trop avec jean baggy.
Le problème c'est qu'il ne veut pas dégueulasser les sièges de son camtar, alors il ne lui reste plus qu'à faire un plongeon dans l'étang à côté.
Bien sûr, il a bien vu le panneau d'interdiction qui indique les risques d'hydrocution et autres dangers, mais il a décidé de les ignorer, de prendre le risque comme on dit.
En trempant un orteil dans l'eau, il est surpris de la température de celle-ci qui doit avoisiner les 30 degrés. De plus il remarque que l'eau est cristalline et le fond bien visible, s’il n’était pas quelque part au milieu de la Provence, il jurerait être dans les Caraïbes. Alors, pourquoi se priver?
Mathieu va même jusqu'à mettre sa tête sous l'eau, et recracher avec la bouche à la manière d'une fontaine. Après tout, si il doit avoir des boutons sur le corps autant en avoir aussi sur la tête! Notre teufeur ne le sait pas encore, mais une amibe mangeuse de cerveau vient de rentrer par sa narine droite. Bien sûr, vous vous dites qu'il aurait peut être pu simplement s'en débarrasser en se mouchant, mais c'est sans compter sur l'instinct de survie extraordinaire de ce parasite qui s'accroche à ses poils de nez, poursuivant son ascension jusqu'à sa cervelle.
Mathieu exténué de sa soirée festive de la veille parvient tout juste à rentrer jusque chez lui.
Et parce que la nuit porte conseil, cette dernière s'est frayée un chemin dans la matière grise et commence à se développer pendant que Mathieu comate sur son canapé. C'est la plus grosse gueule de bois que notre jeune teufeur ait enduré jusqu'ici. Pour lui, il mettait ça sur le compte de ses vingt-cinq ans passés. Parait-il qu'à partir de cet âge, les choses ne sont plus comme avant, c'est ce que dise les vieux.

La sonnerie de son téléphone le sort de sa léthargie et elle lui donne une migraine insupportable. Au bout de la deuxième fois, il décroche pour la faire cesser.
C'est Thibault son meilleur ami qui lui propose de "taper soirée", comprenez par là "se mettre une race immémorable", un truc à encore vous griller les neurones et à sentir vos cheveux pousser sur votre tête le lendemain matin.
Naturellement, Mathieu ne peut pas refuser parce qu'il aime trop la fête. En vérité, ce soir, il n'a pas le gout à la chose, c'est surtout qu'il a une réputation à tenir. Il est comme qui dirait enfermé dans son rôle, sa posture sociale, un engrenage festif infernal.
Et puis il le sait, si d'aventure il refusait de prendre part aux festivités, ne serait-ce qu'hésiter, ses amis viendraient le chercher et irait même jusqu'à le trainer en pyjama.
Alors, pourquoi lutter ?!
Pour se donner du courage, Mathieu décide de s'ouvrir une canette de boisson énergisante, il hésite un instant avec l'option paracétamol, mais il n'est pas franchement fan.
Les médicaments, notre teufeur préfère éviter d'en prendre, il a peur que son corps s'y habitue et que cela ne fasse plus effet en cas de vraie maladie. À dire vrai, il a aussi une certaine méfiance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique. Plutôt paradoxal pour un toxicomane, vous ne trouvez pas?
Par contre, l'amibe, quant à elle, semble répondre favorablement à cet étrange stimulus. On pourrait craindre que cela accélère voir booste le processus invasif et pourtant...ça la fait simplement gesticuler energiquement sur place. Cela ne va certainement pas durer, mais pour l'instant elle semble avoir stoppé sa progression.

Et donc c'est comme ça que Mathieu se retrouve dans ce bar bondé de monde avec la musique à fond, les lumières éblouissantes et les gens qui crient pour se parler. Bref, vous l'aurez compris, le cocktail idéal pour une migraine fulgurante.
Son ami Thibault se retourne vers lui avec un verre de shooter qu'il vient juste de payer au barman, mais Mathieu refuse en expliquant avoir mal à la tête.
Thibault visiblement déjà bien éméché, hausse les épaules, avale les deux verres puis l'attrape par le cou en lui criant :"T'inquiètes je sais ce qu'il te faut!"
Il le conduit par les épaules jusqu'aux toilettes, rentre dans la cabine handicapée et sort un petit sachet de poudre blanche.
"Comme on dit, parfois, il faut vaincre le mal par le mal, mon ami!"
Ils tapent plusieurs rails de cocaïne sur le battant de la cuvette des toilettes. Mathieu bouche sa narine gauche et aspire fortement avec sa narine droite. Dans son conduit nasal, cela fait l'effet d'une avalanche qui au lieu de dévaler la pente, remonterait en sens inverse.
Une fois encore, ce qui ne l'a tue pas l'a rend plus forte ou du moins plus excité. Et bien que jusqu'ici l'amibe avait l'intention de tuer Mathieu, le parasite semble avoir maintenant d'autre projet pour notre teufeur. Étonnamment, elle décide de prolonger la cohabitation et de le faire savoir à son hôte.
En se connectant au réseau synaptique du cerveau de Mathieu, le parasite communique directement avec lui. De la sorte et en vous épargnant les détails technico-scientifiques, le signal envoyé par le corps étranger se traduit en pensées intrusives, des injonctions irrépressibles à la manière d'une voix intérieure, immatérielle et prégnante.
Si à la lecture de la phrase précédente vous n'avez pas constaté de saignement voir d'écoulement sanguinolent depuis votre nez alors nous pouvons continuer (poursuivre).

Penché au-dessus du lavabo des toilettes, Mathieu sent que quelque chose ne va pas, mais il ne saurait dire quoi. Il examine ses pupilles dilatées par l'absorption récente de drogue quand il entend cette voix étrange lui dire : "TOI ON PEUT DIRE QUE TU SAIS T'AMUSER! PFIOU!"
Le jeune teufeur regarde autour de lui pour chercher la provenance de la voix qu'il lui semble avoir entendue.
"REFAIS-MOI UNE LIGNE STP."
Mathieu comprend cette fois que c'est une putain de voix dans sa tête! Il est soudainement pris d'une bouffée euphorique accompagnée d'un petit rire hystérique, mais qui n'est pas le sien. Un frisson d'effroi le parcourt quand il se demande si cela est dû au cumul de drogue qu'il a prise récemment. Des pensées se bousculent et la paranoïa s'insinue doucement dans son esprit.
"NE FLIPPE PAS! JE DIS JUSTE QUE C'EST SYMPA DE FAIRE LA FÊTE AVEC TOI!"
Ça y est, Mathieu devient fou. Enfin c'est ce qu'il se dit, car il ne trouve pas d'autre explication à ce phénomène alors autant en demander à cette voix qui lui parle. 
"Mais t'es qui toi?!" 
Il le sait, là encore, il vient de franchir un cap, on peut entendre des voix, mais c'est quand on commence à y répondre que cela devient inquiétant.
"JE SUIS L'AMIBE QUI VIT DANS TA TÊTE!"
"Hein ? C'est quoi encore ces conneries?!
"SI TU PRÉFÈRES, JE SUIS UN PARASITE AVEC QUI TU ES RENTRÉ EN CONTACT QUAND TU T'ES BAIGNÉ L'AUTRE FOIS. JE SUIS RENTRÉ PAR TON NEZ...ENSUITE TU M'AS FAIT GOUTER A TOUTES SES DROGUES MERVEILLEUSES ET NOUS VOILÀ MEILLEURS AMIS DÉSORMAIS."
Le jeune homme n'en revient pas d'entendre tout ça, ce n'est pas un mauvais rêve, à la limite peut être un méchant bad trip dû à l'accumulation de substances qu'il s'est envoyées dans la tronche récemment. Ca serait même une bonne raison d'arrêter de se droguer se dit il avant de recevoir une décharge nerveuse qui interfère immédiatement cette pensée et celle qui pourrait suivre le même raisonnement. L'Amibe a désormais non seulement décision de vie ou de mort sur lui, mais également pris pleine possession de sa volonté, elle l'a dépossédé de son libre arbitre.
Pire, si d'aventure il lui prend de refuser quand on lui propose de consommer de la drogue, l'amibe lui envoie des signaux synaptiques chimiques provocants un état de manque fulgurant qui le pousse a en prendre continuellement. Et c'est précisément ce qu'il se passe, Mathieu est pris dans un cercle vicieux. À tel point, qu'il se retrouve à s'injecter des substances qu'il considérait jusqu'alors comme des poisons ou qu'il se refuser à prendre en raison de leurs addictions et potentiels de mortalité élevée. En effet, pour notre teufeur, la drogue n'a plus rien de récréatif désormais, elle ne joue maintenant plus que le rôle d'anesthésiant voir d'euthanasiant. Quand on voit la seringue remplie à rabord qu'il s'apprête à se planter dans le bras, la question se pose vraiment.
"OH NON, TU NE VA PAS TE DÉBARRASSER DE MOI COMME CA L'AMI!"
"Qu'est ce que ça peut te foutre ?!"
"QUOI QUE TU FASSES, TU SAIS QUE TU VAS MOURIR. CE SERA SOIT D'UNE OVERDOSE OU PARCE QUE JE T'AURAIS DÉVORE LE CERVEAU!" prévient l'amibe d'une intonation menaçante.
"Et moi qui croyais que mon destin était lié au tien, dans ce cas, autant mourir dans une poussée délirante!" lance Mathieu en pleine montée et donc perte de lucidité.
"JE NE PEUX QU’APPROUVER CE CHOIX MON AMI!"

Drôle de philosophie pour notre jeune teufeur. En même temps, on ne peut pas lui donner tord, c'est de sa vie qu'il s'agit et pour ceux qui l'ignorent, les symptômes de l'amibe sont assez proche de ceux que l'on éprouve en état de manque : maux de tête sévères allant jusqu'aux nausées, fièvres et vomissements, raideurs au niveau de la nuque ainsi que des convulsions et des hallucinations...Si bien que parfois il se réveille dans des endroits, sans savoir comment il y est arrivé.
Et des hallucinations parlons en, les dreadlocks rousses de Mathieu se transforment sous ses yeux en lombrics grouillants dans sa chevelure. 
Il n'avait pas autant tripé depuis cette fois ou il s'était mis des gouttes de LSD directement dans les yeux. Cela lui avait causé des semaines de vision sphérique, toutes en nuances de couleurs orangées. Et si par malheur, quelqu'un le touchait, la panique s'emparait de lui de peur qu'on ne le pèle comme un fruit.
"TU ENTENDS ÇA ?" lance l'amibe enthousiaste.
"Quoi?" répond Mathieu en murmurant à moitié depuis un état de demi-consciences, quelques pars entre le rêve lucide et le coma.
"CE RYTHME! ON EST SUR UNE BONNE VIEILLE HARDTEK!!!" 
"180!!!" dit il en levant son verre en plastique contenant un cocktail de GHB et diverses drogues liquides.

Cette rave party sans fin n'a rien du rêve, c'est même tout l'inverse, c'est carrément un cauchemar.
Le "teufeur" que l'on pourrait maintenant désigner à ce stade de l'histoire par le "toxicomane", ingère, renifle, inhale, bois, avale et s'injecte toutes drogues et substances interdites pouvant crée des réactions euphorisantes, hallucinogènes ou qui lui passe sous la main. Et quand il arrive à cours d'argent comme tous les toxicos, il se tourne vers les produits d'entretien.
Pour décrire son état permanent, imaginez la pire descente que vous n’aviez jamais connue, mais en continu, une descente aux enfers quoi. 
Sa famille et ses amis s'inquiètent impuissant, et même les plus toxicos d'entre eux finissent par le laisser tomber (l'abandonner), complètement dépasser par la déchéance/décadence de ses penchants addictifs.
À ce stade, Mathieu n'est plus qu'un réservoir humain à drogues pour l'amibe, complètement amorphe, il finit en psychiatrie après être passé par la case réanimation.
Mais pour l'amibe insatiable, ce n'est jamais assez. N'ayant plus accès (par l'intermédiaire de son hôte) à toutes les drogues qu'elle désire, se contente un temps des drogues pharmaceutiques/médicales. Cela l'a diverti un moment puis finit par la lasser comme toute bonne chose quand on finit par en abuser.
Alors arrive le moment fatidique de mettre un terme à leurs amitiés ou collaborations comme vous préférez. Dans un autre contexte et en fermant les yeux, on croirait entendre un dialogue de rupture.
"JE CROIS QUE CETTE RELATION COMMENCE À ME LASSER, ÇA NE PEUT PLUS DURER. TU T'ENFONCES DANS TA LÉTHARGIE, CE MUTISME."
"Blu blah blurp blash blip" essaie de bredouiller Mathieu, les yeux se révulsent tandis qu'une goute de sang s'écoule de son nez.
"QUOI JE N'ENTENDS PAS ? ARTICULE BON SANG!"
"TU SAIS, SI TOUT PORTE A CROIRE QUE NOS DESTINS SOIENT LIÉS, SACHE QUE CE N’EST PAS VRAIMENT LE CAS. COMME ON DIT, LES AMIBES, ÇA VA, ÇA VIENT. LA FÊTE EST FINIE."