dimanche 31 mars 2024

Dépossédés

Monsieur le maire de la commune et ses policiers municipaux faisaient grincer le portillon d'entrée rongé par la rouille sur leurs passages. 
C'était au mois d'octobre, la petite allée cailloutée qui menait au porche était complètement recouverte par les feuilles mortes des arbres.
La sonnette ne fonctionnait plus, d'ailleurs l'électricité avait été coupée et les derniers résidents n'avaient visiblement pas jugé utile de prendre un contrat chez EDF.
À la place et pour justifier la légitimité de leurs occupations illégales, ils avaient tout simplement commandé des pizzas en prenant soin de garder la facture de livraison. (Dormez bien sur vos deux oreilles, citoyen français, les lois sont là pour favoriser l'insertion des délinquants, pas pour protegez les innocents.)
Sans prendre la peine de toquer, les forces de l'ordre décidèrent d'enfoncer la porte. 
Un des agents de police en tête de file manqua de tomber par terre sous le poids et l'élan de ses collègues.
Étrangement, la porte n'était même pas verrouillée. Les hommes en uniformes étaient loin d'être au bout de leurs surprises.
Pour tout vous dire, ils s'attendaient à plus de résistances pour cette expulsion et pour causes ce n'était pas la première fois qu'ils avaient à faire à cette famille de Roms. En rentrant dans la vieille bâtisse, ce n'est pas la décoration rustique et d'époque ni le mobilier saccagé par les parasites itinérants qui interpellèrent les autorités, mais bien l'absence de ceux-ci (ces derniers).
La famille Furdui semblait avoir quitter les lieux précipitamment, laissant derrière eux nombre d'objets volés comme des sacs à mains et téléphones de toutes marques, des portefeuilles et des cartes bancaires qui n'étaient évidement pas a leurs noms.
Ces derniers étaient plutôt connus pour leurs ténacités et n'avait pas l'habitude de faire ce qui leurs étaient demandé, ils vivaient selon leurs propres lois.
Les propriétaires des lieux, un couple de personnes âgées hospitalisées depuis des mois, ce sont leurs enfants qui étaient présents pour l'expulsion.
Et quel fut leurs chagrins (colère) de retrouver leur maison familiale ainsi saccagée.
Dans le salon en guise de chauffage, un feu avait été allumé avec certains meubles jugés inutiles par les ROMS, le cuivre des canalisations était quant à lui arraché. Les enfants des propriétaires finirent d'être écoeurés lorsqu'ils retrouvèrent parmi les bris de verres des cadres brisés, leurs photos souvenirs de familles abimées, déchirées et parfois même altérées par des griboulliages obscènes ou irrespectueux.
L'état de santé de leurs parents s'étant d'avantages dégradés, plongés dans un coma artificiel et sans certitude aucune que ceux-ci puissent revenir un jour dans leurs maisons, les enfants complètement dépités par les événements décidèrent de mettre à vendre la demeure familiale.
Pour se faire, ils devaient avant (cela) procéder à quelques travaux d'assainissement et de rénovation.
La semaine suivante, des ouvriers étaient déjà à l'oeuvre.
Durant sa pause déjeuner, un employé peu respectueux a trouvé amusant (cru intelligent) d'uriner sur les bacs à géraniums et tirer au pistolet à clou sur le chat du voisin qui errait dans le jardin. Satisfait de lui même avec un rictus en coin qui lui permettait de maintenir sa cigarette allumée, il retourna à sa tache dans la maison. Alors qu'il repeignait en blanc un mur du salon, une goute de peinture noire puis une autre tomba sur son front et le sortit de sa concentration.
C'est ainsi qu'il leva la tête et remarqua que des traces noires - semblable à des empreintes de pieds et de mains - maculaient le plafond.
Aveuglé par le liquide sombre qui recouvrait maintenant son visage, il chuta de son escabeau.
Quelques heures plus tard, ses collègues l'ont retrouvé prostré dans un placard, le bougre était tellement terrorisé qu'il s'était fait (pissé et chié) dessus.
L'incident suspendit le chantier, laissant une nouvelle fois la demeure inoccupée et dans un état d'insalubrité préoccupant.
Difficile d'imaginer en l'état que cette maison hantée avait autrefois été un havre de paix, surtout pour de futurs acheteurs et agents immobiliers sauf pour des anarchos autonomes, autrement dit : des puent-la-pisse.
À bord de leur camionnette, nos jeunes gauchistes faisaient du repérage dans les quartiers résidentiels à la recherche d'un bien d'exception. Une maison avec jardin, 4 chambres et 2 salles de bains si possible, un grand garage pour pouvoir y garer leurs véhicules en toute discrétion. Ben oui, ce n'est pas parce que c'est gratuit qu'il ne faut pas avoir d'exigence.
Après tout, il est question ici de gens qui bien qu'étant pour la plupart enfants de petits bourgeois n'ont aucun scrupule à vivre aux crochets de la société qu'ils méprisent tant (en se faisant attribuer toutes les aides sociales possibles).
La fourgonnette qui roulait à faible allure avec les phares éteints finit par s'arrêter devant la vieille bâtisse.
En prenant un instant pour observer la scène d'un autre oeil, on pourrait confondre ces trois individus tout de noir vêtus qui s'apprêtent à forcer la serrure de la porte d'entrée avec des cambrioleurs. Attention, ne vous m'éprenez pas, eux sont pires.
Non seulement ils pillent les maisons, mais surtout ils s'y installent. Ce sont des squatteurs, des parasites sociaux.
Comme les ROMS, les notions de propriété individuelle, héritage et dur labeur leur sont complètement étrangères.
Il en est de même pour toutes sortes de principes et valeurs comme le respect d'autrui ou encore l'hygiène corporelle.
Si on devait reconnaitre une seule qualité à nos anarchistes, ce serait bien le sens de la débrouille, car il faut l'admettre que de ce côté-là, ils ont un certain talent. Bien sûr, ils ne rénoveront pas votre habitation, ni ne feront de petits travaux de rafraichissement comme la peinture ou les joints de votre salle de bain, faut pas déconner hein. Et je n'irais pas jusqu'à dire qu'en prenant possession des lieux ils ont nettoyé la maison du sol au plafond, mais ils avaient au moins débarrassé les gravats qui restaient du chantier.
À cette époque, avant que la loi Elan ne viennent corriger cette ineptie (hérésie), les marginaux anarchistes - qui par définition n'obéisse à rien ni personne et se revendique sans loi ni maitre - revendiquaient systématiquement l'application de la trêve hivernale (valable aussi bien pour les mauvais payeurs que les squatteurs) leurs garantissant sérénité (ou une certaine tranquillité) du début novembre à la fin mars.
Justement pour fêter ça, "leurs crémaillères" et à la fois Halloween, ils organisèrent une petite fête costumée le soir du 31 octobre.
De nombreux potes à eux répondirent présents et tous jouèrent le jeu du déguisement.
Ce qui parfois - l'alcool et la drogue aidant - donner du mal à notre trio de squatteur pour reconnaitre ses invités. 
N'est-ce pas comme ça que l'on sait qu'un carnaval (mascarade) est réussi ?
Pour Morgan, toutes les occasions sont bonnes pour se travestir et c'est sans surprise qu'ul s'était grimé en "Clara Morgane", quant à Marie elle était en vierge Marie et Damien en Barney Stinson de la série tv How I Met Your Mother comme ça il pourra se balader avec un verre plein à la main toute la soirée et ainsi son alcoolisme passera pour un simple accessoire. Cela lui permet aussi de remettre son seul costume, il y a fort à parier que la dernière fois qu'il l'a porté c'était pour tout sauf un entretien d'embauche.
Quoi qu'il en soit avec sa mine de déterré (il a 30 ans, mais en fait pratiquement 50), bouffie et rougeot avec une calvitie avancée, il ressemblait plus à la dépouille de Charles Bukowski que l'on aurait enterré avec un verre de scotch.
La soirée battait son plein, l'alcool coulait à flots et les joints se passaient de mains en mains (tournaient bien) sauf pour Damien qui se baladait avec son verre à la main en disant à qui voulait l'entendre que c'était de l'eau et non de vodka. Il se justifiait en expliquant qu'il avait arrêté de boire depuis 2 mois.
Un Morgan survolté proposa à ses convives de passer au niveau supérieur en leurs distribuant des pilules, ce à quoi une Marie joviale surenchéri en suggérant qu'il serait très amusant d'appeler les esprits. La jeune femme en clin avec son costume à un maximum de blasphème semblait oublier que dans quelques heures, le lendemain, le 1er novembre, était célébrée la fête des morts.
Alors que les lumières avaient été précautionneseument éteintes à l'exception du lustre qui surplombait la table ronde ou ils étaient à présent tous installés, la séance de spiritisme commença, mais fut interrompue par l'arrivée d'un nouvel invité.
Dans le contre-jour de la lumière extérieure, il se tenait là, sur le pas de la porte, affublé seulement d'un grand drap blanc sur lesquels il avait dessiné une bouche et deux yeux noirs, il se contenta de prononcer "un BOO-soir" qui déclencha un peu trop facilement l'hilarité générale.
S'ils n'étaient pas tous déjà complètement souls et drogué dés le début de la soirée, ils auraient peut être remarqué qu'aucun pied ne dépassait en bas du drap qui recouvraient leur drôle d'invité.
C'était de loin le déguisement qui avait eu le plus de succès au cours de la soirée, pourtant ils n'avaient pas réussi à identifier qui se cachait dessous ni sa voix ni sa démarche.
Damien prétexta aller en cuisine lui chercher une bière fraiche et en profita pour s'éclipser dans la cuisine. Il murmura un "que la fête commence" au sens des plus cyniques surtout quand on le connaissait bien.
Ce qu'il détestait par-dessus tout, c'est d'être le moins bourré de la bande, celui qui passe la soirée presque sobre à regarder les autres s'amuser.
Morgan se rapprocha en faisant dépasser volontairement son sexe de sa mini-jupe tandis que Marie qui ne portait visiblement aucune lingerie sous sa soutane en fit la démonstration devant le fantôme. Ce dernier leur répondit en mimant un pénis qui pointait à travers le drap tendu. 
Tous rirent aux éclats, sans même se demander comment leur invité avait pu faire ça sans l'aide d'un troisième bras.
Pour deviner qui se cachait dessous ce déguisement, Morgan et Marie enjaillés par leurs derniers verres (à moins que ce ne soit la MD qui commençait à faire effet) décidèrent de se lancer dans une partie de Strip Poker.
Pendant ce temps dans la cuisine, Damien descendait d'une seule et longue gorgée une bouteille qu'il avait planquée dans le double fond d'un placard sous l'évier en cas de nouvelle crise. Sachez que toute personne qui a une addiction, quelle qu'elle soit, aura toujours une cachette secrète, un dispositif de secours, en l'occurrence pour lui c'était une bouteille de (chercher une bouteille avec un taux d'alcool le plus fort et mauvaise au gout)
Pour les amateurs d'alcool, cette bouteille est ignoble, mais gardez à l'esprit qu'être alcoolique ne fait pas de vous un sommelier.
Revenons à notre partie de strip-poker.
Les cartes distribuées, les premières donnes ont dissuadé ceux qui ne pouvaient pas suivre et qui préféraient ne pas se mouiller.
C'est ainsi que Marie se retrouva en face à face avec son mystérieux invité, a miser et surenchérir jusqu'à faire tapis.
Difficile de savoir si son adversaire bluffe ou pas quand celui-ci se cache derrière un déguisement.
Le moment de montrer les cartes enfin venu, le fantôme abattit les siennes avec un petit rire grave et inquiétant.
6 de coeurs, 6 de trèfles, 6 de piques, 6 de carreaux.
À son tour Marie posa ses cartes sur la table.
Valet, Reine, Roi, As, tout en coeur.
Bon perdant, le fantôme souleva alors le drap qui le recouvrait et disparu subitement dans un rire sonore résonant dans toute la maison.
Les autres joueurs se regardèrent circonspects puis éclatèrent de rire à nouveau.
Ailleurs, loin de toute cette agitation juvénile, dans cet hôpital ou l'on peut côtoyer la mort à chaque couloir, deux âmes en peine refusaient leurs sorts, renonçaient de laisser les parasites qu'ils soient sociaux ou médicaux s'emparer d'eux et de tout ce qu'ils avaient mis une vie à construire. 
Et plus leurs états de santé se dégradaient, plus leur maison se détériorait, nul doute que le destin de Françis et Jeannette Lemarchand était étroitement lié à leur demeure.
La moisissure gagnait peu à peu l'ensemble de la maison, elle avait commencé par quelques taches d'humidités aux angles de certaines pièces et avait fini par s'étendre du sous-sol au grenier. L'intérieur des murs avait pourri jusqu'à en décoller le papier peint de certains.
Au plafond, les craquelures de peinture semblaient s'agrandir avec les vibrations du vent comme une fissure dans la glace, autant de passage pour les cafards qui se faufilaient partout. Les insectes avaient pris possession des lieux et en avaient fait un cercueil.
Difficile d'imaginer la famille Lemarchand vivant autrefois dans cette demeure, avec le père Francis qui bricolait toutes sortes de choses, sa femme Janine affairée au ménage balayant tout ce qui lui passait sous le plumeau tandis qu'un bon petit plat mijotait dans la cuisine et que les enfants jouaient dans le jardin ou plutôt Victor embêtait une fois de plus sa petite soeur Margaux.
Au lieu de ça, tout était délaissé et à l'abandon désormais.
L'embrasure des fenêtres par lesquelles le vent s'engouffrait comme autant de murmures réveilla Damien qui était allongé dans le canapé.
"Bad trip, hallucination ou délire comateux ? Quelle différence?^^" se demanda Damien en se frottant les yeux. Le doute s'immisça un peu plus dans son esprit quand il réalisa que le drap blanc du fantôme de son rêve lui servait de couverture de fortune. Il regarda autour de lui et constata que la musique continuait de jouer bien que tous les invités soient partis.
"Peu importe, cela ne va pas m'empêcher de m'amuser tout seul" conclut-il en se dirigeant vers la table du salon ou trônaient encore des verres à moitié pleins.
Damien les but les uns après les autres, il n'essayait même pas d'en deviner le contenu, tout ce qu'il cherchait c'était l'ébriété.
Comme disait le proverbe "peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse".
À la manière de ces boulimiques qui mange tout ce qui leur passe sous la main, l'alcoolisme pouvait parfois se manifester de la même manière.
Bien que l'une concerne les liquides et l'autre les aliments, ces deux maladies sont similaires à bien des égards.
Si un mélange de plusieurs fonds de bouteille est appelé communément "un cimetière (ou cercueil à vérifier)" alors cela devait faire de Damien "Un profanateur de sépulture, un fossoyeur".
Et alors que tous les verres et bouteilles étaient vides, sans même lui procurer un frisson de dégout ou un signe d'ivresse, il remarqua cette bouteille sans étiquette au centre de la table. Elle était là, à attendre que quelqu'un veuille la boire, pleine et pas encore ouverte, son liquide brunâtre et épais laisser présager une forte concentration d'alcool.
Du coin de l'oeil il aperçu une silhouette dans l'obscurité et manqua de sursauter.
"Qui êtes-vous?" demanda le squatteur.
"Un ancien locataire." Lui répondit un vieil homme moustachu au dos courbé et coiffé d'un béret en s'avançant vers lui.
"Je pense que tu vas avoir besoin de ça" lança-t-il en lui tendant un tire-bouchon.
Damien s'en saisit et enleva le bouchon de la bouteille. 
"Ce bruit ne t'en rappelle pas un autre mon garçon ?" le vieux monsieur à la bonhommie bien franchouillarde lui mima avec ses doigts une pénétration sexuelle avant de poursuivre "C'est ce que je me disais, ça fait un bon moment que tu ne l'as pas entendu celui-là!"
"Bois mon garçon! Bois!" s"exclaffe le fantôme en donnant une tape amicale dans le dos du jeune homme.
Damien porte le goulot à sa bouche, et descend d'une longue traite la bouteille.
"Tu sais, tous les alcooliques boivent pour oublier un parent abusif, une femme infidèle, des problèmes d'argent ou d'érection comme toi, Damien. Bien sûr, cela ne résoudra pas ton impuissance, cela les aggravera certainement, mais au moins tu n'y penseras plus."
Le spectre regarda ses propres entrejambes et fit claquer les bretelles qui maintenaient son pantalon comme pour illustrer son propos.
Subitement (sans mauvais jeu de mots), Damien se sentit mal, a tels points qu'il dut se précipiter aux toilettes pour ne pas vomir dans le salon.
La tête plongée dans la cuvette, on aurait cru qu'il régurgitait en continu tout ce qu'il avait ingéré depuis son dernier repas de Noël.
De sa bouche s'écoulait cette bile noire, aussi épaisse qu'odorante semblable à du goudron ou de la peinture industrielle.
Les spasmes s'accéléraient à un point ou Damien ne parvenait même plus à respirer entre chaque réjections. Il se noyait littéralement dans son vomi.
Et alors que le squatteur suffoquait une ultime fois, le fantôme se pencha sur sa dépouille pour l'accabler d'une dernière répartie : "Voilà, jeune homme, considère à présent que tous tes problèmes sont résolus."
Dehors, les clapotis de la pluie. La chambre s'éclairait subitement à chaque fois que la foudre frappait avant de replonger aussitôt dans les ténèbres.
Le tonnerre grondait, mais ne pouvait camoufler les vomissements agonisants de Damien.
Marie qui essayait de dormir avait la triste habitude d'entendre cela, à tel point qu'elle n'y prêtait même plus attention.
Non, ce qui l'empêchait de trouver le sommeil c'était quelque chose à l'intérieur d'elle, un traumatisme qu'elle essayait d'oublier.
Plusieurs mois en arrière, Marie et ses deux amis vivaient dans un autre squat non loin d'ici. 
La raison qui les avait poussés à quitter les lieux n'était pas une énième expulsion comme l'on pourrait le penser, mais plutôt un événement que nos adeptes du vivre ensemble n'avait pas anticipé. Peut être que dans leurs mondes imaginaires peuplés de lutins asexués chevauchant des licornes ce qui est arrivé à Marie reste inconcevable...ou peut être pas, dans celui-ci en tout cas, ils partageaient leur lieu de vie avec des migrants africains.
Exclusivement des hommes, contrairement à ce qui est parfois avancé par les journalistes, ces gens ne fuient pas la guerre.
Bien souvent, ils laissent femmes et enfants derrière eux, ce ne sont rien d'autre que des réfugiés économiques. 
Et bref, un soir lors d'une petite fête un peu trop arrosée, Marie se montra des plus entreprenante avec l'un d'entre eux et invita ce dernier à le rejoindre dans sa chambre, une fois leurs affaires fini, c'est un autre africain qui se glissa...qui prit le relai sans consulter la principale intéressée.
Comment en vouloir à ces pauvres étrangers qui n'ont pas les codes sociaux culturels de ce pays inhospitalier? Interrogeons-nous un instant sur ce que peut signifier le consentement pour des victimes de l'histoire, des descendants d'esclaves. 
Marie était en proie au doute, dans son esprit un vrai conflit idéologique la déchiré, son féminisme acerbe venait se confronter à son antiracisme angélique.
La jeune femme ne pouvait tout de même pas se résoudre à demander de l'aide à la police qu'elle détestait par-dessous tout, alors elle préféra quitter le squat avec le courage de ses convictions.
Au-dessus d'elle, une grosse goute se forma, grossit puis tomba jusqu'à s'écraser sur son front et rouler sur sa joue comme le ferais une larme.
Baigné dans cette semi-obscurité, difficile pour elle de discerner si cette tache au plafond était de la crasse (pourriture/moisissure) ou une ombre.
Allongé, là, dans ce lit, les yeux fixés sur cette tache au plafond qui ne cesse de croitre, souillant le blanc immaculé de la peinture, Marie n'avait même pas remarqué la présence du fantôme de Janine Lemarchand, la propriétaire des lieux qui flottait au-dessus d'elle l'oreille collée contre son ventre puis se fondit en elle.
"Bientôt, tout le monde connaitra ton horrible secret...tu ne pourras plus le cacher, ton gros ventre." Murmura une voix étrangère dans sa tête.
Dans l'obscurité totale, la jeune femme vit des yeux humains et des sourires malsains éclore un peu partout sur les murs.
Marie se demanda alors si elle n'était pas en train de devenir folle à cause de la drogue.
Elle se leva pour allumer la lampe d'appoint à l'autre bout de sa chambre.
La lumière était faible, mais suffisante pour la rassurer, les yeux et les sourires s'étaient refermés, mais maintenant l'ombre s'était muée en des vingtaines de mains qui venaient des quatre coins de la pièce et se rapprochaient de Marie.
La voix de la vieille dame résonna une nouvelle fois dans sa tête : "Tu es pas trop du genre vierge Marie, je dirais que t'es plutôt une Marie-couche-toi-là! La vérité c'est que t'es une souillon, une petite salope aguicheuse. Quand y en a pour un, y en a pour deux ma chérie, je dirais même trois maintenant."
Sortant de l'obscurité, les mains noires essayaient de toucher et attraper la squatteuse, celle-ci recula brusquement pour échapper à leurs emprises et fit tomber la lampe par terre.
La luminosité de la pièce changea à nouveau et devint plus sombre, Marie se recroquevilla sur son matelas le regard figé sur la petite zone encore éclairée de la pièce.
Un doigt de l'ombre bougeait à mesure que l'ampoule affaiblie tremblait, comme si l'esprit malin jouait à une partie macabre de "1,2,3 soleil".
Soudain, la lumière cessa et toutes les mains s'emparèrent du corps de Marie, arrachant ses vêtements par des attouchements sexuels.
La dernière chose que vit la jeune femme, était une main qui se posa violemment sur sa bouche pour étouffer ses cris avant de se voir littéralement tirée dans le matelas devenu une sorte de portail vers l'au-delà.
La tempête faisait remonter une odeur tellement nauséabonde des canalisations que l'on aurait pu facilement croire que les cadavres de générations et générations d'ancêtres de la famille lemarchand venaient d'être exhumer par les coulées de boue du jardin.
Morgan qui était penché au-dessus de l'évier de la salle de bain se demandait également ce qui pouvait puer ainsi.
Devant le miroir "iel" se contemplait dans son costume de "Clara Morgane".
Malgré sa perruque, ses sourcils épilés, la couche épaisse de maquillage et ses ombrages en trompe-l'oeil quelque chose clochait pour Morgan, il ne se sentait pas encore assez femme.
Le travesti inspectait son rouge à lèvres quand le fantôme de Françis Lemarchand se fondit dans son corps, affublant ainsi le squatteur transgenre d'une barbe, une moustache et de sourcils épais. Le spectre du propriétaire joua avec le reflet de Morgan un instant avant de prendre l'apparence du père de celui-ci et de déclarer :"ton père avait toujours voulu d'une fille, c'est pour ça qu'il ne s'intéressait jamais à toi. Avant il t'ignorait, maintenant tu lui fais carrément honte."
"Vous n'êtes pas..." répliqua Morgan et au fantôme de le couper en disant : "toi, non plus. Regarde, toi!"
De rage iel donna un coup de tête dans le miroir et le fit voler en éclat.
"Tu pourras faire autant d'opérations que tu veux, avec ton 1m92 pour tes 134 kilos, ta pomme d'Adam, ta pointure 51 et de tes mains de maçon...personne ne te prendra jamais pour une femme, voyons!" 
Le transgenre se saisit d'un morceau de verre tranchant et commença à découper son sexe masculin.
À la limite de l'évanouissement, Morgan tenait du bout des doigts l'appendice génital quasi atrophié par les traitements hormonaux et le jeta dans la baignoire.
Laissant sur son passage une coulée de sang, l'eunuque tituba dans le couloir en implorant de l'aide avec sa voix de fausset.
Morgan tapa à la porte de la chambre de Marie sans obtenir de réponse de sa part puis se traina jusqu'au rez-de-chaussée et là, dans les toilettes, il découvrit avec horreur le corps inanimé de Damien noyé dans une flaque noirâtre.
L'eunuque qui tenait une serviette entre ses jambes (pour tenter de contenir l'hémorragie) essaya d'ouvrir la porte d'entrée, mais sentant que celle-ci lui résistait (elle était verrouillée de l'extérieur), lâcha son point de pression pour s'aider des deux mains sans se douter que cela lui serait fatal.
Le squatteur vacilla, ses tripes se déversèrent sur le seuil et le couple de fantômes se pencha au-dessus de lui.
Avant qu'il ne perde connaissance, Morgan entendit Lemarchand faire à sa femme :"ça, Janine, c'est ce que j'appelle une belle descente de m'organe".
Quelques jours plus tard, un vieux photographe libidineux venu au prétexte (la jeune femme qui l'accompagnait avait refusé de se mettre nue dans une ambiance "boudoir") d'une séance photo d'exploration urbaine (appelé aussi "URBEX" par les connaisseurs) s'arrêta devant la demeure des feux Lemarchand.
L'homme observa un instant la maison abandonnée et franchit la clôture, malgré le petit panneau d'avertissement qui lui signalé une propriété privée à ses risques et périls.
Aurélie dont c'était la première expérience en tant que modèle attendait au portillon en grelottant, il faut dire qu'elle était en lingerie sous son long manteau.
Tout semblait indiquer que la bâtisse était inhabitée à l'exception de deux choses : la porte semblait fermée de l'intérieur, pas de poignet ni de serrure à l'extérieur, elle était condamnée. En regardant par la fenêtre, il constata qu'il n'y avait pas de poussière, comme si le ménage venait d'y être fait.
Ce qu'il ne savait pas c'est que peu de temps avant, les cadavres des précédents squatteurs avaient été jetés dans la fausse sceptique et la maison nettoyée par le couple de fantômes.
Naturellement, tout ceci intrigua notre photographe qui fit signe à sa modèle de le rejoindre.
L'homme brisa le carreau à l'aide d'une pierre et s'introduit dans l'habitation.
En entrant, ce qui les frappa c'était les inscriptions d'une couleur rouge sombre peintes sur les murs : "Creve hivernale, Treve infernale"; "Anarcho-aufantome" ; "Morts aux dégénéré.e.s"; "Esprits conservateurs".
Avec son appareil photo il prit quelques clichés de ce qu'il considérait ni plus ni moins comme d'étranges graffitis.
Sur le petit écran de celui-ci, il observa le rendu et remarqua en faisant défiler les images qu'une silhouette inquiétante s'avançait jusqu'à l'objectif.
Effrayé, il lâcha son appareil photo qui vint s'écraser sur le sol et prit la fuite comme il était venu sous une rafale de flash.

Tout cela aurait pu finir autrement. Pourtant on le dit et on ne cessera de le répéter : il ne faut jamais mettre en colère des esprits malins.
Il est vrai que la méthode choisit est plutôt radicale, nos fantômes auraient tout aussi bien su se contenter de jouer avec leurs indésirables...un peu de possession de temps à autre histoire de pousser ses "hôtes" à faire des choses qu'ils leurs sont contre nature comme un shampoing, un bain ou un entretient d'embauche; une porte qui claque par ci; un cri strident par là; quelques pièges dans la maison; cacher la télécommande de la télé; les enfermés dehors ou encore essayer cette fameuse technique réputée pour son efficacité qui consiste a dissimulé des crevettes dans les tringles à rideau et autres endroits insolites. À la longue avec la chaleur, les bestioles pourrissent et dégagent une odeur pestilancielle. Le hic, c'est que ce genre de manoeuvre ne fonctionne pas avec certain, surtout quand il s'agit comme ici, de squatteurs crado à l'hygiène douteuse qui n'ont que faire des mauvaises odeurs. Ils ne l'auraient probablement même pas remarquer.

vendredi 1 mars 2024

Sourire figé


Je suis sûr qu'elle peut m'entendre, d'une caresse je glisse une de ses mèches de cheveux derrière son oreille.
Il y a des personnes avec qui vous avez un lien si fort qu'elles pourraient bien se trouver à l'autre bout de la planète que vous auriez toujours l'impression d'être aussi proche.
Comme si vous communiquiez par la pensée. Ceux qui ont perdu ou connu quelqu'un qui était dans le coma savent de quoi je parle.
J'enserre sa main avec les miennes pour la réchauffer et lui murmure "mon amour, c'est l'heure du bain" au creux de l'oreille.
Parce qu'elle ne peut pas bouger c'est moi qui doit m'occuper de sa toilette.
Je pose le bouchon au fond de la baignoire et y fait couler l'eau jusqu'à ce quelle soit chaude et suffisamment remplie puis reviens vers ma femme.
Non sans difficulté, je la porte jusqu'à la baignoire et la dépose délicatement.
D'une main je fait ruisseler l'eau sur ces cuisses.
Je trempe le gant (ou la fleur de douche) dans la mousse et le fait glisser sur sa peau, sur son cou et sa nuque, sa poitrine et ses épaules, son ventre et son sexe.
Tout en tendresse, je la caresse, mon doigt se hasardant sur ses lèvres et son clitoris sans qu'elle ne réagisse, ni consentement, ni révulsion.
Alors, je remonte l’éponge sur ses bras et son dos.
Ensuite je fait basculer sa tête en arrière, me saisit du pommeau de douche et arrose ses cheveux.
Je masse son crane lentement avec le shampoing et toujours aucune réponse à mes différent stimulus, même pas un frémissement ou un spasme nerveux. Rien.
C'est en soulevant ses cheveux pour dégager sa nuque que je remarque avec horreur une tache sombre sur sa peau, une sorte de champignon ou de moisissure, une nécrose.
Je pourrais me faire aider...enfin c'est ce qu'ils me diraient, mais si ils savaient, les gens ne comprendraient pas, ils trouveraient tout cela malsain.
Ils me jugeraient, on me ferait interner sans hésiter, peut être même jeter en prison. Devenu un sordide fait divers dans la presse, j'inspirerais certainement le cinéma.
Or, je ne suis pas le Norman Bates du film de Hitchcock.

Une fois rincé et séché, il est maintenant temps de l'habiller.
Qu'est ce que je vais bien pouvoir te mettre aujourd'hui?...Commençons par les dessous. Regardons ce que tu as en lingerie.
Après tout, ce n'est pas parce que tu es...disons que ta condition ne t’empêche pas d'être coquette.
Tandis que je t'enfile un soutien gorge, je me fais cette réflexion : "ça a toujours été plus simple pour moi que de te l'enlever."
Ensuite c'est ton string que je passe sur tes jambes et fait remonter jusqu'à ton sexe imberbe.
Cette vulve sans poils ni trace de repousse, avec ses fines lèvres rosées lui donnerait presque des airs immaculés.
Je lui préfère une jupe à un pantalon, et puis c'est pas comme si elle allait avoir la chair de poule.
En haut? Ce ne sera pas un décolleté pour autant. Non, je trouve que ça fait trop vulgaire.
Quel paradoxe me direz-vous et je vous répondrais par l'argumentaire suivant : sachez que pour moi la lingerie c'est intime, ce n'est réservé qu'à moi et moi seul.
Alors si elle porte un décolleté ce sera accessible à tous.
C'est pour cela que je préfère la voir avec un pull à col roulé...mais bien moulant pour que ce soit sexy!
Par contre pour lui faire enfilé je dois avouer que c'est plutôt compliqué avec la rigidité.
Concernant les chaussures je ne lui en met pas, c'est trop difficile et puis c'est pas comme si elle allait s'en servir pour marcher.

Maintenant, je passe à la coiffure, on va d'abord sécher les cheveux avant de les brosser. Cela abime moins les cheveux et ça les garde plus propres plus longtemps.
J'invente rien, je l'ai lu dans un cosmo!
Et là, je vois de grosse touffes tomber à chaque coups de peigne.
Sa tignasse se clairsème à vue d’œil si bien que l'on croirait maintenant voir le crane d'une femme âgée.
Je ne sais plus quoi faire et j'ai peur d’aggraver un peu plus la situation en tentant encore quoi que ce soit.
Alors je passe au maquillage, de toute manière elle ne verra pas le haut de son crane si je ne lui montre pas.
Par contre son visage face au miroir elle ne pourra pas le louper.
Sa peau est lisse et bien rosé, sans aspérité, je n'ai pas besoin de lui appliquer du fond de teint ou de la poudre.
Un peu de far à paupière, de crayon ou d'eyeliner et elle aura presque à nouveau forme humaine.
Quand je me penche sur son visage pour lui mettre du crayon, elle tourne de l’œil, il se révulse littéralement.
Une fois fini, ses deux yeux restent bloqué dans cette position, laissant uniquement entrevoir le blanc de son globe oculaire.
Je la secoue à plusieurs reprise mais son regard reste tel quel. Avant il était sans vie, aujourd'hui on dirait celui d'un zombie.
Ce n'est juste qu'une poupée, réaliste c'est vrai, mais pas plus vivante qu'un objet.
Elle ne remplacera jamais ma femme, celle avec qui j'ai partagé 22 ans de mariage.
On fait des trucs drôlement étrange quand on est pas bien.
Pour mon deuil, ma psy voyant que je n'arrivais plus à dormir dans mon propre lit depuis, m'a conseillé une thérapie de substitution.
Autrement dit, prendre une poupée gonflable pour combler l'absence physique de ma femme, faire illusion.
Et c'est vrai que pendant un temps, ça à marché. Je retrouvais le sommeil et l’appétit.

Pendant ces dernières années, ma femme était très malade.
Sa santé déclinante la rendait totalement dépendante des autres, surtout de moi.
J'avoue que malgré les difficultés que cela occasionnait, j'aimais m'occuper d'elle.
A son chevet je me sentais utile.
Être dévoué à ma femme était la plus belle preuve d'amour que je pouvais lui donner.
Ça va vous paraitre bizarre et certainement un peu machiste si je vous dis que j'appréciais de l'avoir sous mon contrôle, ou plutôt ma protection.
Je sais aussi que pour certain tout cela leur parait insensé, c'est un peu comme si je prenais un chien après avoir perdu mon enfant et d'un coté vous avez pas vraiment tord.
Quoiqu'il en soit, j'ai beau avoir substitué ma femme à une poupée, le même problème fini toujours par revenir.
La mort me poursuit alors je la fuit. Si cela a marché une fois, je peux peut être la tromper encore une fois?
Partagé par l'envie et la culpabilité qui me rongent, je parcoure l'avenue Pigalle et ses devantures aguichantes.
Non pas comme un gosse devant un magasin de jouet mais plus comme un adolescent en pleine puberté devant les vitrines à prostitués d'Amsterdam.
Il y en aurait bien une ou deux qui m’aie tapé dans l’œil, malheureusement si j'avais le ticket, je l'ai égaré, impossible de me la faire ni échangé ni remboursé.
Quant à la garantie, il n'y en a pas pour les aléas de la vie, rien ne vous en prémuni.
Hélas, bien au contraire, je ne suis ni échangiste, ni libertin, je suis malgré moi fidèle à mon chagrin.