dimanche 14 décembre 2025

(T)repas de Noël


Cette année 2020 marquée par la pandémie de la covid19 a été éprouvante à bien des égards.
Beaucoup de personnes ont perdu la vie, certains leurs proches et d'autres leurs travails.
Comme vous le savez, de nombreuses entreprises ont connu une grande précarité économique, quand elle ne faisait pas tout simplement faillite.
Parmi celles qui ont eu la chance de résister à la crise, l'une d'elles avait décidé de ne pas céder à la morosité ambiante en organisant un petit repas pour célébrer Noël. C'était ici, chez "Assur'isque" à Saint Jean, une petite entreprise d'une petite ville qui pourrait se situer n'importe où en France.


C'était le dernier jour de Léo, le stagiaire (oui, son contrat n'était pas reconduit) et comme chaque début de journée, il faisait le tour des bureaux pour le courrier.
En ce jour un peu particulier, il avait la lourde tache de distribuer les cadeaux du "secret santa", déguisé en lutin de Noël.


Quoi, comment ça vous ne savez pas ce qu'est un secret santa ? Je vais vous expliquez...le principe est simple, quelques semaines avant Noël, vous tirez au sort le nom d'un de vos collègues,  à qui vous devrez offrir un cadeau un peu bête sans dépasser un montant d'une dizaine d'euros. Comme son nom l'indique, vous devez garder le secret jusqu'au repas d'entreprise de Noël.
Suivons donc le stagiaire, Léo, dans sa tournée.
Son premier arrêt c'est avec Gilles, le comptable : un économe. C'est aussi comme ça qu'il aime à se qualifier pour se défendre quand les autres employés lui font remarquer qu'il a cette fâcheuse tendance à se montrer radin. C'est le premier à se goinfrer à un buffet quand c'est gratuit, mais ne paye jamais rien en retour. Pire, il est du genre à vouloir réclamer les restes.
Son cadeau de secret santa aurait tout aussi bien pu être un ticket restaurant, mais ça mettrait directement fin à l'intrigue avec le nom de l'émetteur dessus.


Passons maintenant à Nathalie, la vendeuse : un test covid. Elle est prête à tout pour vendre, venait même au boulot en ayant le coronavirus au risque de contaminer ses collègues et continuait à faire du porte-à-porte chez les personnes âgées.
En parlant des personnes âgées justement, voici Laurent, le plus ancien des employés qui approche de la retraite et trouve une oreille attentive auprès de Nicolas, le syndicaliste (lui a le virus de la Corona, c'est pour ça qu'il boit son café bien corsé et un peu salé) qui s'assure un bulletin d'adhésion l'année prochaine en accordant de l'attention à un vieux salarié fidèlement aigri. Ils ont respectivement reçu une cartouche de paquet de mouchoirs et une brosse à chiotte.


Ensuite, vous avez Jerome, le vendeur : un peigne et un paquet de chewing-gum. Le quadra inspecte sa calvitie dans le miroir des toilettes pour hommes et envisage sérieusement de faire un détour par la Turquie avant de se rendre au tribunal pour son troisième divorce.


Adossé à la porte du bureau de Lisa, la secrétaire qui se lime les ongles, c'est Anthony, le manager : un test de grossesse et une boite de capote.
Ce beau vieux, bien qu'il soit marié et père de famille, couche avec la blonde de service qui use et abuse de son décolleté en toute occasion.
Nul doute qu'elle ne débarque déguisé en mère Noël sexy au moment d'ouvrir les cadeaux, si vous loupez le moment, ne vous inquiétez pas vous aurez tout sur son compte Onlyfan.
Le plus drôle, c'est que tout le monde fera semblant de ne pas savoir de quoi il s'agit quand ils recevront tous la notification en même temps.
Vous ne serez pas non plus étonné d'apprendre qu'elle devrait bientôt passer directrice des ventes sans même passer par le poste de vendeur.
Et enfin, Benjamin, le chef d'entreprise : Un martinet. Ce tout jeune trentenaire a hérité de son père, mais n'arrive pas à tenir à flot l'entreprise familiale.
Pour surmonter cette énorme pression il se noie dans l'alcool et les drogues, et comme il est encore cet enfant gâté et insolent, il s'est retrouvé empêtré dans une relation toxique avec une domina que lui aurait fait rencontré justement Lisa, vous savez miss nibard à l'air, la secrétaire.


Voilà, je vous ai présenté tout ce beau petit monde, énumérer chacun d'eux comme une liste d'enfants pas sages. De vilains garnements qui ne mériteraient normalement pas de cadeaux ou seulement un morceau de charbon, sauf si l'on considère qu'un éthylotest, un mouchoir en soie, une capote, un autotest covid, un tableau pense bête, un test de grossesse et un martinet, ces "cadeaux empoisonnés" sont tout ce qu'ils méritent.
Oui, cette galerie de personnage haut en couleur,  n'est pas sans rappeler celles de la série "The Office" dans laquelle on adore suivre ces fortes personnalités se détester cordialement. Mais si la fiction prête à sourire, la réalité, ici, est bien plus délétère. Comme partout ailleurs, les jeux de pouvoir, les coucheries, toutes les bassesses et les mesquineries sont d'usage, en attestent ces cadeaux de "secret santa" d'une méchanceté gratuite que personne n'aimerait recevoir.


Pourtant, un événement dramatique intervenu plus tôt dans l'année aurait pu les rapprocher, la mort de leurs collègues Albert des suites du covid.
Au détour d'une conversation, ou parfois une allusion plus ou moins subtile, on a l'impression qu'il est là, comme un éléphant dans la pièce ou un père Noël sadique qui observerait ces adultes peu vertueux.


C'est bientôt l'heure pour les employés de se retrouver dans la salle de réunion toute décorée pour l'occasion.
Une playlist ringarde hurle dans une enceinte Bluetooth pour signaler à chacun le début des festivités.
En cheminant jusqu'à la salle de réunion, Gilles demande sarcastiquement au stagiaire si ce n'est pas "son pot de départ".
Benjamin, le jeune patron débouche bruyamment une bouteille de champagne et propose un verre à ses employés avant de commencer un bref discours.
À ses pieds devant lui un sac rempli de cadeaux et d'enveloppes nominatives.
"Cette année prend bientôt fin, elle a été compliquée pour tout le monde avec le covid et surtout la crise économique, mais bon on est là, ici et tous ensemble enfin presque...Bref, je vous remercie d'avoir chacun d'entre vous ramené des plats pour contribuer à la réussite de cette fête et à cet esprit de partage. Vous trouverez une petite enveloppe à votre nom, mais on ouvrira tout ça avec les cadeaux du secret santa au moment du dessert si vous voulez bien. En plus, je crois savoir que Lisa nous a préparé une buche maison. Hum, j'en salive d'avance. Je vous souhaite à tous un joyeux Noël. Allez, maintenant servez-vous."


"À ton avis, il y a quoi dans les enveloppes ? Des chèques avec nos primes de Noël ?" murmure Jerome le vendeur à l'intention de Nicolas le syndicaliste et à ce dernier de répondre en sifflant entre ses dents : "Plutôt des mises en demeure pour nous virer, des putain de lettres de licenciement ouais!".
 

Tous se retrouvent autour du buffet avec leurs petites assiettes en carton et leurs discussions aussi insipides que les plats surgelées disposés...enfin peut être pas, certains mets sont un peu plus relevés qu'il n'y paraisse.
"Au fait, avant de commencer, je te conseille d'éviter le lait de poule, sauf si tu es constipé, enfin, tu vois ce que je veux dire..." poursuit Jérome avec Nicolas en cachant sa bouche avec son assiette.
"Ok merci de me prévenir hahaha. Et toi fais attention aux crevettes, elles sont peut être pas très fraiche je pense mais il y avait une super promo, c'était bête de s'en priver."
"Au pire je dirais que c'est ce que Gilles a apporté."
"Il t'a devancé, je crois, ce radin a juste amené un paquet de chips éventé et de la bière bon marché."
"Quel pingre celui-là!"
"Tu l'as dit!"


De l'autre côté de la pièce, Anthony se rapproche discrètement de Lisa et lui chuchote à l'oreille : "C'est moi qui ai fait les feuilletés roulés saucisses, mais j'ai pensé à toi, ils sont vegan". Flattée par l'intention, la jeune femme glousse en piochant un des amuses bouches puis se dirige dans le couloir en direction des toilettes ou elle croise justement Laurent qui en sort sans se laver les mains. Elle lui lance avec une condescendance empreinte de dégout : "Lave-toi les mains avant de te servir au buffet..." et à lui de répondre dans sa barbe "et toi la bouche, salope!".
"Gros porc" qu'elle continue de pester en s'installant dans la cabine.

Pendant ce temps, les autres employés et le patron passent à table, ils ne semblent pas trop se préoccuper de l'absence de la secrétaire.
Après tout Lisa est boulimique, ils sont habitués à la voir s'éclipser pour vomir son déjeuner aux toilettes ou sucer le manager dans son bureau.
Et ce n'est pas Nicolas, le syndicaliste qui le remarquera, ce dernier est ivre mort, la tête littéralement plongée dans son assiette.
Le moment d'ouvrir les cadeaux est venu. Bien sûr, ces derniers ont tous été emballés dans une boite en carton de la même taille, pour garantir la surprise et éviter que des petits malins essaient de deviner leurs contenus.
Comme on pouvait s'y attendre, les employés, suspicieux, se regardent les uns, les autres ne sachant pas comment réagir. Les mâchoires se crispent, les yeux se plissent et les poings se ferment. Parfois en société, face à une blague de mauvais gouts vaut mieux-t-il un rire jaune ou un rire forcé ? Perdre la face et garder sa dignité ou s'écraser et ravaler sa fierté ?
Libre à vous de vous positionner.


Nathalie, la vendeuse, commence toutefois à se poser des questions. Pour cette dernière, l'absence de Lisa dure vraiment plus qu'à l'accoutumée, alors elle se décide à aller à son encontre.
Elle prétexte une retouche maquillage pour aller vérifier que "tout va bien". C'est d'ailleurs ce qu'elle demande à Lisa à travers la porte.
Pour seule réponse, elle reçoit un court couinement suraigu suivi d'un bruit d'écoulement semblable à celui que l'on émet en vomissant ou en ouvrant un vieux robinet. L'espace d'un instant, cela rassure presque Nathalie, jusqu'à ce qu’elle se rende compte avec effroi qu'une grosse flaque sombre est en train de s'étendre sur le sol de la cabine où se trouve Lisa.
Paniquée, elle monte sur la cuvette pour essayer d'apercevoir par dessus la paroi, et découvre le corps inanimé avec le visage boursouflé de sa collègue gisant dans une marre de sang et de vomit. Nathalie, remarque le tupperware par terre à moitié renversé contenant ce qui semble être des restes de gratin dauphinois et de dinde.


Nathalie réalise que cette réaction fulgurante et mortelle pourrait très certainement être causé par la noix de muscade qu'elle a saupoudrée dans des quantités outrageuses sur le plat qu'elle a préparé, car elle le sait à fortes doses cela devient toxique et hallucinogène pour celui qui l'ingère.
"Quelle ironie quand même, Lisa, la secrétaire aux jupes courtes et aux mœurs légères qui meurt après avoir avalé de la noix de muscade, ça doit la changer des noix musquées" se dit Nathalie en essayant de dédramatiser. Mais...comment aurait-elle pu prévoir que sa collègue utilise son plat pour assouvir une crise de boulimie ?
Non...cela ne peut pas être le seul facteur de sa mort. Lisa avait également des allergies connues de tous, aux arachides notamment.
D'ailleurs, la farce de la dinde est aux airelles et aux noix, plat qu'elle n'a pas préparé.
Maintenant, un dilemme s'impose à Nathalie, soit elle appelle la police au risque de figurer parmi les suspects ou elle confronte ses collègues pour démasquer le coupable.


La vendeuse sort des toilettes pour regagner la salle de réunion et se fait bousculer par Gilles qui se précipite aux toilettes des hommes sans prendre la peine de s'excuser.
Elle se plante devant ses collègues attablés, les mains ensanglantées, paumes tournées vers le ciel, le regard hagard.
"Je crois qu'on a un problème."
Tous se redressent sur leurs chaises, Benjamin se lève et vient à son encontre. Elle raconte ce qu'elle a vu et les réactions ne se font pas attendre.
"Attendez, c'est bizarre non, de la dinde, on en a tous mangé tout à l'heure, je me trompe ?" lance Anthony avant de poursuivre "Comment ça se fait qu'elle est morte et pas nous ?"
"Je croyais qu'elle était "vegan" en plus." Rétorque vindicatif Laurent, qui a préparé le plat.
"Ça ne l’empêchait pas d'aimer un peu la saucisse, si tu vois ce que je veux dire" plaisante Léo le stagiaire qui visiblement est en roue libre et n'a plus rien à perdre.
"Un mauvais morceau peut être ou un de ces petits os coincés en travers de la gorge que sais je." Essaie de justifier tant bien que mal Laurent.
"Je pencherais plus pour une allergie à un truc dans la farce peut-être...son visage était tout gonflé. C'était tellement horrible." Déclare en sanglotant Nathalie.


Gilles, le comptable qui est revenu des toilettes, rougeot et en sueurs, réajuste ses lunettes aux verres embués sur son nez et se lance dans une élucubration :  "Et si c'était l'esprit vengeur et malin d'Albert qui est à l’œuvre? Après tout, Lisa ne faisait jamais attention pendant le covid, elle venait au boulot même malade et refusait de porter un masque alors qu'elle le savait fragile. Remarque, ce n'était pas la seule à manquer de précaution et de civisme pendant cette période."
Tous le dévisagent un instant avec un air perplexe, n'ayant pas l'air de prendre au sérieux la théorie farfelue évoquée par Gilles.
"À moins que le tueur, ce soit lui!" crie-t-il en désignant du doigt, Nicolas, le syndicaliste.
Ils se tournent vers l'homme à la tête planté dans son assiette. Gilles, lui retourne en trombe dans les toilettes prises par une envie pressante.
"Aprés tout, c'est le stratagème parfait, puisque les pièges sont déjà tous tendus, il n'a plus qu'a faire semblant d'être ivre mort, attendre et se délecter de la situation.
Comment peut-il être ivre mort s’il n'a pas bu?!
"
Anthony, manageur, mais aussi ancien rugby man qui a longtemps attendu cette occasion se jette sur le syndicaliste pour le frapper, mais se retrouve à glisser par terre avec un cadavre dans les bras.
"Putain, mais lui aussi il est mort!" qu'il crie en se débâtant avec les membres lourds du macchabée.
"Il n’a pas bu une goutte, mais il a mangé du gratin dauphinois et du cake aux légumes par contre." Remarque Laurent avant de continuer "ça pourrait être un coup du stagiaire, qui voudrait se venger des mauvais traitements de ses collègues et de son boss qui n'a pas reconduit son contrat."
"Ou tout aussi bien, un employé aigri de ne jamais avoir eu la promotion qu'on lui avait promis depuis si longtemps." Rétorque Léo.
"Et si c'était un patron suicidaire dont l'entreprise est en train de couler et qui veut nous emporter avec lui à la manière de je ne sais quelle secte. D'ailleurs y a quoi là-dedans ?" conclu Gilles qui revenu une nouvelle fois des toilettes, manipule une des enveloppes pour deviner son contenu.
"Ce sont des cartes de Noël avec des voeux et une lettre de remerciement. Vous me prenez pour qui?!" s'exclame Benjamin en levant les mains en l'air, exaspéré.
Léo se saisit du cadeau de Lisa, arrache le papier cadeau et sort quelque chose de l'emballage : "Voyons voir de que c'est : un test de grossesse!"
Anthony lui arrache l'objet des mains et murmure : "positif!"
En retrait, Benjamin, le chef d'entreprise, est pris d'une soudaine envie de vomir, il se dirige vers les toilettes en essayant de se retenir comme il le peut, mais Gilles le devance et s'enferme dans la cabine. Résultat, il finit par se soulager dans une poubelle de bureau et sur une partie de la moquette.
"Je suis désolé, ça doit être les crevettes." Se justifie-t-il, penaud en s'essuyant la bouche du revers de sa manche.
"Bon allez, ça suffit, c'est quoi ces trucs?! C'est vraiment les cadeaux qu'on s'est offerts ?" s'exclame Anthony qui tente de masquer un sourire hypocrite en balançant son cadeau sur la table.
"Moi, j'ai eu des pense-bêtes colorés et un réveil" déplore Léo, le stagiaire.
"Mais qui a offert quoi à qui ?" demande Benjamin entre deux régurgitations.
"Comment veux-tu que je le sache, c'est le principe même d'un secret santa, de ne pas savoir qui fait le cadeau..."
"Ben je ne sais pas comme c'est toi qui organise, t'aurais pu le savoir!"
"C'est le stagiaire qui était chargé de distribué les cadeaux, il a peut être inversé les cadeaux avec une autre hotte ou je ne sais pas moi!"
"Tu ne serais pas en train de m'accuser par hasard ?" s'offusque Léo qui se rapproche des deux hommes en bombant le torse.


Jerome qui s'est absenté un long moment pour téléphoner avec son avocat à propos de son divorce en cours, reviens dans la salle de réunion.
"Wow, qu'est ce qu'il fait froid dehors! Putain, cette fois il s'est vraiment chargé le Nico!"
"Non, Jerome quelqu'un a empoisonné la bouffe." Réponds Nathalie en portant la main à sa bouche pour marquer son indignation.
"Mais qu'est-ce qui faut pas entendre! N'importe quoi regarde ma dinde, elle n’est pas empoisonnée!" réagit Laurent, le vieux employé en surpoids pour ne pas dire obèse et qui plonge ses doigts boudinés dans la carcasse  "C'est de la dinde avec de la farce aux marrons et aux noix, c'est bon ils nous font chier tous ces donneurs de leçon de vegan et autres avec leurs allergies imaginaires, tout ça, c'est dans la tête. Ils sont juste en manque d'attention, de protéines et de calcium, ces anémiques! AHAHAHAHEUHEUH ARGHHHH" soudain le visage de Laurent se crispe, devient blême et ses yeux ronds cherchent de l'aide. De ses mains il essaye tant bien que mal d'arracher son col roulé dissimulé sous son énorme double menton sans succès. Il n'arrive même pas y accéder, ses doigts s'enfoncent dans la peau de son cou comme ils le feraient en pétrissant de la pâte à pizza.
Léo vient à son secours, lui tape dans le dos, mais ne semble-t-il pas assez fort au gout d'Anthony qui l'écarte pour prodiguer un massage dit de la méthode "Heimlich".
Hélas, toute cette agitation se révèle inefficace, les deux hommes se retrouvent au sol, Laurent avec son poids les a fait basculé en se débattant pris par un effet de panique.
Le visage du vieil employé passe du rouge au bleu accompagné d'un long râle guttural. Dans son dernier souffle l'homme obèse semble murmurer quelque chose de sa grosse voix rauque, mais que personne autour de lui ne semble comprendre comme s’il s'agissait là d'un dialecte étranger voir extra-terrestre.
La situation est d'un tel pathétique à la manière de ce qu'on peut voir dans ces films d'horreur "gore" qui use d'une violence tellement exagérée qu'elle finit par en en devenir grotesque.
C'est pour ça et aussi à cause du space cake que Léo ne peut s'empêcher d'avoir un rire nerveux.
Sachant pertinemment que sa réaction ne passe pas inaperçue, le jeune homme devance ses détracteurs pour se confondre en excuse : "je suis désolé, je ne sais pas si c'est le space cake, mais ça me fait terriblement penser à cette scène dans le retour du Jedi de Star Wars quand Jabba the Hut fini étranglé".
"C'est cool si ça te fait rire. Je ne manquerais pas de le préciser dans ma déposition à la police." Lance froidement Anthony et à Léo de lui répondre "Toujours la faute du stagiaire hein!" en approchant une nouvelle fois vers le manager le torse bombé."Je rêve ou tu viens de dire space cake?" rebondit Nathalie qui s'engouffre dans la brèche pour renvoyer la responsabilité de toute cette histoire sur le jeune stagiaire.
La sonnette de l'entrée retentit, détourne l'attention de tout le monde un instant et fait oublier la question posée par Nathalie.
"Je vais voir qui ça peut être." Annonce Gilles en prenant la direction de l'interphone.
"C'est quoi ton problème avec moi?!" crie Léo en appuyant son front contre celui d'Anthony.
"Tu vas faire quoi gamin ?!"
Benjamin s'interpose comme il le peut quand le jeune homme fait mine de vouloir embrasser avec sa bouche Anthony ce qui provoque un mouvement de recul de ce dernier et le fait glisser dans une flaque de vomit. En déséquilibre, les deux supérieurs de Léo basculent dans le vide au-dessus des escaliers qui mènent à l'entrée.
Un fracas terrible retentit suivi d'un long silence qui vous glace le sang.


Par miracle Benjamin se relève indemne, quant à Anthony, il reste prostré dans une position grotesque, le cou tordu, une ombre grandit sous sa tête, autour de son oreille.
C'est à ce moment-là que deux agents de police, une femme et un homme en uniforme, font leurs apparitions dans la cage d'escalier.
Étrangement, les agents ont l'air complètement paniqués, peut-être même plus que nous encore et en même temps, qui ne le serait pas en une pareille situation ? Ne sont-ils pas censés avoir l'expérience de gérer ce genre de chose ?! À moins que ce ne soit pas de vrais policiers et c'est ce que finit par se demander Gilles en les observant attentivement.
Un détail, notamment, sur leurs uniformes attire particulièrement son attention, il n'y a pas écrit de quel type de police il s'agit, ni le nom de la ville.
Ce premier indice l'amène a en remarquer d'autres : la qualité du tissu des tenues et la présence notamment de boutons pressions tout le long des coutures latérales du pantalon.


Profitant de la stupéfaction du couple de policiers, Jerome prend soin avec l'aide de Nathalie de redresser sur leurs chaises les cadavres de Nicolas et Laurent.
De connivence avec ses employés et pour leur faire gagner un peu plus de temps, Benjamin prend à part les agents pour leur parler brièvement avant qu'ils ne continuent leurs progressions dans le bâtiment.
Le chef d'entreprise désigne alors Léo aux membres des forces de l'ordre qui s'approche de lui pour l'interpeller.


Aussi surprenant que cela puisse paraitre, ils décident de le ligoter avec une des guirlandes lumineuses qui ornaient le sapin.
"Mais vous êtes sérieux?! Utilisez vos menottes, putain!"
"Vous croyez qu'on y a pas pensé! Elles sont en fourrure et pas assez résistantes!"
Le jeune stagiaire comprend alors qu'il ne s'agit pas de vrai policier et se débat farouchement pour échapper à leur étreinte.
"J'appelle la Police" lance Jerome en composant le numéro sur son téléphone portable.
"C'est quoi ces conneries?" demande Nathalie incrédule.
Benjamin se lance alors dans une explication hasardeuse ou il raconte qu'il a voulu faire une surprise de Noël aux employés, mais que les strip-teaseurs n'avaient plus de costume de Noël alors il a été convenu qu'ils viennent déguisés en policier.
BLAMMMMM
Un grand bruit interrompt le monologue de Benjamin et tous se tournent alors vers la table pour constater que le cadavre de Laurent est retombé par terre. Une boulette avec un morceau d'os enrobé de farce s'éjecte de sa bouche et roule jusqu'au pied de Léo.


La suite vous la connaissez, la lueur bleuté des gyrophares qui balaient la pièce, le bruit des sirènes qui se rapprochent, les vrais policiers qui débarquent en trombe dans l'escalier, les cris, les corps emportés sur des brancards.


Tout cela n'aurait pu être possible sans la participation de tous, chacun à sa manière a œuvré à ce que cette situation dégénère, chacun a amené sa contribution et y a donné de son sang.
Que ce soit en offrant des cadeaux empoisonnés ou apportant des plats qui le sont tout autant : le space cake au légume, le lait de poule au laxatif ou le gratin dauphinois avec la noix de muscade.
Mais...d'un commun accord, tous désignent Léo comme l'instigateur de toute cette histoire.
Trop hypocrites pour s'avouer la vérité, ils font converger leurs versions des faits comme quoi le stagiaire était enragé de ne pas voir son contrat reconduit, il aurait alors empoisonné la nourriture et essayer de les monter les uns contre les autres en échangeant les cadeaux du "secret santa" dont il était en charge de la distribution.
Après tout il n'a pas d'enfants à charge, pas de crédit à payer et on est sur qu'il aurait fini toxicomane au chômage. Il avait autant de mauvaise raison de le faire que les autres employés, mais c'est le coupable facile, car n'oubliez pas une chose, c'est toujours la faute du stagiaire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire