"Bienvenue au Titanium center building, le bâtiment le plus moderne et le 
plus haut de l'histoire.
En effet, ce titanesque gratte-ciel mesure 966 
mètres et possède pas moins de 201 étages, 66 ascenseurs et 3583 marches 
d'escalier.
Vous pouvez y trouver une clinique privée, des bureaux, des 
appartements, un hôtel, un casino et même 4 piscines.
Et bla et bla et bla 
bla bla"
C'est ce que vous raconteront les guides, lors d'une visite 
touristique de la tour.
Par contre si comme moi vous laissez trainer une 
oreille indiscrète et attentive au moindre bruit de couloir vous entendrez 
peut-être Philippe le vigile et Maria la femme de chambre, avoir une discussion en 
attendant l'ascenseur.
"Tu as vu, il parait qu'ils vont engager des 
grooms!
Oui, j'ai dit à mon cousin Santiago de postuler. Je pensais que ce métier avait disparu...
Tu ne dois 
beaucoup apprécie ton cousin. Ahaha.
Pourquoi tu dis ça?
Tu n'es pas au 
courant, Maria?
Non...dis-moi.
Il y a eu un gros incident ici ce 
week-end.
Ha bon? Je ne savais pas...
C'est pour ça qu'ils ont installé 
des trousses de premiers secours et qu'ils vont engager des grooms.
Mais 
qu'est ce qu'il s'est passé?"
La sonnerie et l'ouverture des portes de 
l'ascenseur viennent interrompre brièvement leurs discussions.
En rentrant, 
le vigile jette un regard suspicieux à la caméra puis poursuit à voix basse dans 
sa langue natale, espagnole.
"Des gens sont restés enfermés dans un 
ascenseur tout un week-end et se sont entretués. Parmi eux, y avait le grand 
patron, le propriétaire du bâtiment, c'est lui qui a payé pour le silence des 
médias, des victimes et leurs familles.
Oh mon dieu, qui c'est qui t'a 
raconté tout ça?
Le réparateur de l'ascenseur pardi! Il m'a confié que leur 
calvaire a duré du vendredi 16h au lundi matin 6h.
"Dans les bureaux du 104e aux 115 étages tout le monde quitte le boulot plus 
tôt le vendredi sauf Dwight.
Son statut de cadre ne lui imposait pas ce genre 
d'excès de zèle, mais ses ambitions carriéristes, si.
C'est pour cela qu'il 
se faisait un point d'honneur de toujours partir le dernier, au grand dam des 
agents de nettoyages qui appréciaient de faire leur travail sans se faire 
épier.
Parfois, Dwight était tellement absorbé par son travail qu'il en 
oubliait de faire ses besoins de la journée.
Inconsciemment, pour lui qui 
détestait utiliser les toilettes publiques, cela était un signe qu'il fallait 
partir.
Alors qu'il venait d'appuyer sur le bouton d'appel de l'ascenseur 
avec impatience, il entendit le chariot de l'homme de ménage arriver derrière 
lui et soupira.
Dwight, détestait devoir le partager avec quelqu'un. Ce 
moment de confrontation sociale aléatoire le mettait mal à l'aise. 
Si il le  pouvait, il descendrait par l'escalier, mais c'est beaucoup trop long depuis le 
108e étage. 
Pour lui, c'était une raison supplémentaire de partir après tout 
le monde.
Quand la double porte automatique s'ouvrit, les deux hommes 
rejoignirent une jeune femme déjà à l'intérieur.  
Cette dernière les informa 
que l'appareil, étrangement, montait bien qu'elle ait demandé à 
descendre.
Pourtant ils le savaient tous, dans cet immeuble ultra moderne, 
les ascenseurs étaient équipés des dernières technologies, accès par badge, 
commande vocale, camera à reconnaissance faciale, etc.
Lucius, l'homme de 
ménage qui gardait toujours ses écouteurs vissés dans ses oreilles n'entendit 
pas l'avertissement.
Il pesta silencieusement lorsqu'il se rendit compte de 
la chose.
Quelques étages plus hauts, l'ascenseur s'arrêta à nouveau pour 
faire rentrer quelqu'un à la plus grande surprise de ses occupants.
L'homme 
avait les cheveux mi-longs plaqués en arrière, portait un costume trois pièces et 
des chaussures cirées. 
Avec son style  "yuppie" qui n'était pas sans 
rappeler Patrick Bateman de American Psycho, Milton ne laissait personne 
indifférent dans l'ascenseur.
Nul besoin pour lui de laisser sa carte de 
visite. 
Il était bien plus célèbre que le personnage du roman de Bret Easton 
Ellis.
L'homme de ménage, Lucius l'avait tout de suite reconnu et s'était 
bien gardé de le saluer.
Comme bien souvent il craignait de se faire ignorer, 
c'est pour cela qu'il écoutait toujours de la musique dans ses écouteurs.
À 
moins que ce ne soit pour une autre raison: Lucius gardait un souvenir amer de 
son entretien d'embauche. 
Initialement, il avait postulé pour devenir le 
nouvel assistant de Milton et avait été recalé parce qu'il était soi-disant 
surqualifié ou surdiplomé.
Cependant, la direction des ressources humaines 
l'avait recontacté quelques jours plus tard pour lui proposer le job d'homme de 
ménage. Quelle sinistre blague.
Une odeur nauséabonde monta au nez du personnel d'entretien et le sortit de 
ses pensées.
Malheureusement habitué de par sa profession, mais pas accommodé 
pour autant à ce genre de puanteur. Il mit un instant à se rendre compte 
qu'il était enfermé dans une cabine d'ascenseur et non de 
toilettes. Apparemment et au vu des convenances et de la bienséance il 
n'était pas le seul.
Tous se couvraient la bouche et le nez, se regarder en 
coin suspicieusement à l'exception de Milton qui restait impassible. Neutre, 
sans expression comme une photo d'identité.
On pourrait presque penser qu'il 
portait un masque de chair figeant les muscles de son visage.
Alors que 
l'ascenseur descendait vers l'étage qu'il avait choisi, Lucius fit un pas vers 
la porte en poussant son chariot d'entretien. Ses chaussures de sécurité 
firent un bruit étrange, non pas un couinement plastifié, mais plutôt un son que 
l'on attribuerait (associerait) volontiers à des flatulences.
Tout le monde 
le regarda subitement.
"Surtout, ne vous gênez pas pour nous!" lança 
Dwight.
"Excusez-moi? Je..." essaya de répondre Lucius scandalisé.
"Oui, 
vous pouvez!" coupa Dwight.
"Mais arrêtez, ce sont mes chaussures qui.." 
expliqua Lucius en désignant ses pieds avec ses mains.
"Mon cul ouais!" 
rétorqua l'assistant du manager régional.
"Ne soyez pas idiot!" l'employé de 
ménage se redressa et vint coller son front sur celui de son 
interlocuteur.
"Arrêtez de m'insulter, racaille! Ça veut dire quoi tout ça? 
Vous pensez impressionner qui ici? Allez y frappez moi!" invectiva le cadre 
quadragénaire en le repoussant. 
Voyant que les événements prenez une 
tournure disproportionnée, Milton fini par s'interposer entre les deux hommes. 
"Continuez de faire comme si on n’était pas là, vous vous débrouillez très 
bien jusque là. Même pas un bonjour, quel snob!" dit-il en faisant bouger 
l'ascenseur
"Vous osez me faire des reproches sur ma politesse alors 
que...vous ne manquez pas d'air vous!
Tout ce mouvement fit tanguer 
l'ascenseur jusqu'à se provoquer son décrochage. 
Les lumières s'éteignirent 
et le silence revint, du moins un instant.¨
À présent, seules les petites 
veilleuses d'urgence éclairaient la cabine. 
Dwight tapota sur l'écran 
tactile et suscita l'assistance d'un technicien via la commande vocale sans 
succès. 
Comme quoi, vous avez beau être dans l'ascenseur du building le plus 
moderne du monde, si il y a une panne d'électricité vous serez quand même 
coincé.
Il regarda son téléphone et constata comme les trois autres qu'il n'y 
avait pas de réseau mobile.
"Super! Nous voilà bloqués ensemble maintenant." s'exaspéra une voix 
féminine.
"Vous auriez pu prendre l'escalier madame, un peu d'exercice ne 
pourrez pas vous faire de mal!"
"À vous non plus, visiblement." Rétorqua 
Lucius pour prendre la défense de la jeune femme.
"Moi, je suis enceinte et 
vous c'est quoi votre excuse?...Gros con!" répliqua-t-elle en finissant sa 
phrase dans un murmure.
À ces mots Milton reconnus enfin à qui appartenait 
cette voix qui lui semblait si familière.
Elle avait beaucoup grossi depuis 
la dernière fois qu'il s'était vu, il y a quelques mois de cela, quand ils 
avaient couché ensemble.
C'était pour cela qu'il avait mis autant de temps à 
la remettre.
Il comprit mieux alors pourquoi la jeune femme semblait si 
embarrassée de le croiser.
À l'époque elle était encore son 
assistante.
Naïvement, elle avait surement espéré que le coup de bite se 
transformerait en idylle de conte de fées.
La version censurée Pegi7 de 50 
shades au grey.
On ne pouvait pas la blâmer pour ça, sur les écrans c'est ce 
genre de rêve qu'on vous vend tous les jours.
Elle a seulement voulu le vivre 
en 4DX. Sauf que tout ça, c'est du cinéma, c'est pas pour rien que ces émissions 
s'appellent "télé-réalité" pour faire rêver les idiots.
Quelle fille n'a 
jamais souhaité trouver sur le prince charmant, comprenez par là : un beau gosse 
plein aux as.
Argent facile pour une fille qui l'est tout autant, prête à 
écarter les jambes devant le premier milliardaire venu.
Pourquoi courir après 
une promotion canapé quand on peut être sa partenaire de vie, sa femme, son 
égal.
C'est ça le féminisme moderne, l'heure n'est plus à l'émancipation. 
Quoi de mieux qu'un bon contrat de mariage pour plumer son conjoint, gagner 
autant voir plus que lui.
Le hic c'est qu'elle n'avait très certainement pas 
lu toutes les petites lignes de son contrat de travail.
Alors que les avocats 
de Milton, eux, avaient envisagé le pire pour préserver les intérêts de leur 
fortuné client.
17H00
Et quelques mois plus tard, les revoilà à nouveau réunis. 
Aussi heureux 
et piégés qu'un jeune couple devant faire face à une naissance non 
désirée.
La jeune femme enceinte, Melina de son prénom, senti de fortes 
contractions qui la poussèrent à s'accroupir contre un angle de la 
cabine.
Pratiquement aux termes de sa grossesse, elle avait de plus en plus 
de mal à rester longtemps debout.
Cela faisait presque 1h qu'ils étaient 
coincés là et toujours aucune une réponse du service de sécurité ni de la 
société d'exploitation, pas même un signe de l'extérieur.
Ils essayaient de 
garder espoir dans l'attente qu'une quelconque opération de sauvetage 
s'organise.
Lucius tenta de forcer l'ouverture des portes sans parvenir à ses 
fins.
"Vous vous fatiguez pour rien, entre deux étages il est impossible 
d'ouvrir les portes. Il y a un mécanisme de verrouillage extérieur" lui expliqua 
Dwight en se tenant la tête avec la main droite.
"Merci de votre aide." 
Répondit l'homme de ménage sur un ton sarcastique.
20H00 
Si pour vous 20 minutes coincées dans un ascenseur vous paraissent 
interminables, alors imaginer des heures, surtout quand vous n'avez aucun 
interlocuteur extérieur.
Le stress commençait à largement se manifester chez 
chacun d'eux, sous différente forme.
Dwigt qui avait une envie grandissante 
de pisser tentait de se contenir en se tortillant sur lui même.
Quant à 
Lucius c'était de se retenir de fumer qui le rendait de plus en plus irritable 
et le poussait à se gratter les avant-bras compulsivement jusqu'au sang.
Son 
job "alimentaire provisoire" qu'il qualifiait de dégradant lui rappelait déjà 
chaque jour sa condition sociale.
Mais ajoutez à ça le fait d'être enfermé, 
cela ne pouvait lui évoquer que la terrible histoire de ces 
ancêtres.
L'esclavage, la traite des hommes de couleur, mais aussi plus 
récemment les dérives judiciaire qui conduisait les Afro-Américains 
systématiquement en prison.
Enfin quand ils avaient la chance selon lui de ne pas avoir 
été abattus par la police. C'était tout là, sa façon bien personnelle de 
justifier sa claustrophobie.
Tout tremblotant, il prit une cigarette dans son 
paquet et la porta à sa bouche puis sortit son briquet pour l'allumer.
Au 
moment où la flamme éclaira son visage, un souffle à l'haleine parfumée vient 
éteindre celle-ci.
"Qu'est ce que vous ne comprenez pas quand je dis que "je 
suis enceinte"?!"
Lucius, ignora la remarque et ralluma aussitôt la flamme de 
son briquet.
"C'est mauvais pour le bébé!"
"Vous dites ça comme si j'en 
étais le père, je n’en ai rien à foutre moi de votre bébé!"
À cette réplique 
Milton eut un rire soudain dans son coin d'ascenseur.
Melina lança un regard 
noir dans cette direction et arracha la clope au bec de son 
interlocuteur.
"En plus vous allez déclencher l'alarme 
incendie!"
"Justement, ça pourrait peut-être nous aider à nous faire 
remarquer." dit-il en tapant au plafond avec son balai pour faire du 
bruit.
"J'en doute fortement, vous allez surtout réussir à nous rendre 
sourds."
"C'est vous qui me cassez les oreilles!"
Sur ces derniers mots, 
il s'énerva tellement qu'il enfonça la trappe dissimulée sous les luminaires du 
plafond.
Lucius était suffisamment grand pour arriver à se hisser facilement 
par l'ouverture sans demander l'aide de qui que ce soit.
En posant ses mains 
malencontreusement sur une partie métallique en contact avec les câbles, il 
s'électrocuta mortellement.
Tout le monde cria de surprise et de terreur 
tandis que son corps brulant lentement de l'intérieur pendait par la trappe.
22H00 
"Il y a comme une odeur de singe grillé ou de viande de brousse."
"Vous 
êtes répugnant de racisme."
"Arretez un peu, j'ai voyagé en Afrique et sur 
certains marchés je peux vous affirmer que c'est cette même odeur que vous 
trouvez là bas!"
Un moment passa où le silence se fit pesant, Dwight voulant 
briser la glace se hasarda alors à raconter une blague.
"Oh j'en ai une bonne 
là! Comment reconnait-on un noir calciné?...Non, personne? 
À son odeur de 
poulet grillé!" S'esclaffa-t-il tout seul avant de reprendre.
"Sérieusement, 
j'en pouvais plus de lui, c'est tellement difficile de devoir mesurer chacune de 
mes paroles pour ne pas vexer ce genre de personne. 
Ils ne sont bons qu'à se 
victimiser. C'est fatigant.
Enfin bon...On devrait peut-être le décrocher, 
non?" dit-il en se saisissant du balai.
"Je vous le déconseille, c'est le 
meilleur moyen de vous électrocuter aussi." 
"Vous comprenez, je ne voudrais 
pas qu'on croit qu'il est mort pendu..."
"Vous êtes toujours aussi drôle?!" 
lança Melina sans attendre de réponse de son interlocuteur.
00H00
Les genoux serrés l'un contre l'autre, le buste penché en avant. Dwight se 
contorsionnait littéralement pour ne pas que sa vessie cède.
Mais il avait 
trop d'amour propre pour se pisser dessus alors il se résout à sortir son sexe 
et uriner dans le coin opposé à ses compagnons d'infortune.
Dans la 
semi-obscurité, Melina perçut comme une vapeur chaude et odorante de pisse et 
déclara :
"Vous ne pouviez vraiment pas vous retenir plus longtemps?
On ne 
sait pas combien de temps on va encore devoir attendre, on aurez pu avoir besoin 
de la boire. Vous êtes bête d'avoir gaspillé!"
"Je peux vous pisser dessus si 
vous aimez tant ça! Je m'en ferais un plaisir!"
Melina soupira de 
consternation et sentit une contraction plus forte que toutes celles qu'elle 
n’avait pu jamais avoir avant.
Elle se recroquevilla contre la paroi de 
l'ascenseur et lâcha prise.
À sa grande surprise et celles des deux autres 
occupants, elle venait de perdre les eaux.
05H00
En son fort interieur, Dwight s'interrogea, si les eaux n'étaient finalement pas un peu 
la même chose que la mouille abondante des femmes fontaines.
AAprès s'être égaré un instant dans ses pensées,  il provoqua une nouvelle fois la femme enceinte. 
"Vous auriez pu vous retenir, 
franchement!"
Melina était tellement en souffrance qu'elle n'avait même pas 
la force de lui répondre par une insulte entre deux gémissements de 
douleur.
Le sourire narquois du cadre quarantenaire disparu de son visage 
alors que le liquide initialement translucide se mêlait de sang, passait du rouge 
au brun en se rependant sur le sol.
À la faible lueur des veilleuses, il 
voyait la flaque sinistre progresser vers lui comme une ombre.
Pour y 
échapper, il recula sans regarder derrière lui et glissa dans sa propre 
pisse.
En voulant se rattraper pour ne pas tomber, il posa la main sur le 
cadavre encore électrique de Lucius.
Au même moment Milton eut le bon réflexe 
de pousser le chariot d'entretien pour faire barrage.
Il se saisit du balai 
serpillère qui trainait et épongea comme il pouvait le liquide sombre autour 
d'eux.
10H00
Milton redoutait que la vue du sang ne lui fasse tourner de l'oeil, mais se 
rendit compte, étonnamment, que cela provoquait l'effet inverse.
Associait à 
ça, l'odeur de chair brulée qui flottait dans l'air ne cessait de le rappeler à 
la faim qui le rongeait.
Bien malgré lui, il lorgnait vers la viande 
grillée des cadavres et avait le plus grand mal à le dissimuler lorsque son 
ventre grondait pour exprimer son appétit.
Les contractions devenaient de 
plus en plus intenses et rapprochées, Melina allait mettre bas et Milton devait 
l'assister.
14H00
Après des heures de travail, le bébé montrait pratiquement sa tête.
Et 
dire que les médecins de la clinique privée du 32e étage où elle avait 
rendez-vous un peu plus tôt dans la journée, avant de se retrouver coincée dans 
l'ascenseur, lui avaient dit qu'ils provoqueraient l'accouchement la semaine 
prochaine.
C'était un avantage que le comité d'entreprise octroyait à ses 
employés et la jeune femme n'avait pas les moyens de se payer de tels soins 
autrement.
La vie est étrange pensa-t-elle, il a été conçu dans cette tour et 
donc c'est tout naturellement qu'il doit y naitre.
17H00
Soudain retentit à l'unisson un cri déchirant, celui de la mère et de son 
nourrisson.
Une membrane céda comme un barrage, déversa tout son sang sur 
Milton.
Dans un dernier effort avant de mourir, Melina avait transmis sa vie, 
elle avait littéralement donné la sienne pour sa progéniture.
L'homme couvert 
de sang examina l'enfant qu'il tenait dans ses bras, envisagea de le dévorer, 
mais s'arrêta de respirer quand il remarqua que c'était un garçon.
Le bébé 
lui ressemblait trait pour trait, à un tel point qu'il lui était difficile d'en 
faire abstraction. Indéniablement, il le savait, c'était sa descendance, son 
héritier.
Il se souvenait avoir lu un article animalier qui disait en 
substance que chez certains mammifères, le réflexe physiologique du nouveau-né 
était de ressembler au male pour ne pas qu'il le tue.
Cela venait chambouler 
ses plans, tout ce qu'il avait prévu jusque là.
Il regarda autour de lui puis 
vers la caméra de surveillance, hésita un instant et tira sur le cordon 
ombilical encore relié au fœtus duquel pendait le placenta.
Le millionnaire 
planta sa bouche dans l'organe gorgé de sang, arracha un morceau de chair qu'il 
avala goulument et adressa un sourire à son fils le menton 
dégoulinant.
"Bonjour Otis" murmura-t-il d'une voix douce au nourrisson tout 
en agitant le doigt devant son visage pour attirer son attention.
L'avait-il 
baptisé ainsi en hommage à la société d'ascenseur dans lequel il avait vu le 
jour? Certainement.
Milton passa la main dans sa poche et en sortit une 
petite télécommande tactile sur laquelle il tapota plusieurs fois avant de la 
ranger.
Quelques instants après, les lumières et la caméra se rallumaient, le 
courant était revenu.
Les pompiers qui s'apprêtaient avec des outils de 
découpe et désincarcération à intervenir sur la cage d'ascenseur furent très 
surpris quand les portes s'ouvrirent d'elle même, automatiquement.
Mais ils 
l'étaient encore plus de découvrir ce qui se trouvait à l'intérieur : un homme 
au visage couvert de sang tenant dans ses bras, tout enveloppés dans sa veste de 
costume, un nouveau-né.
Ce dramatique incident, leur rappelaient les scènes 
de survivants lors de crash aérien dans une zone montagneuse.
Bien entendu, 
pas un journaliste n'a relaté les faits dans les médias, silence radio, de même 
pour les familles. 
Ont elles été achetées? Personne ne vous répondra à cette 
question, sauf si vous pouvez payer plus que l'homme le plus riche du pays, en 
l'occurrence Milton."
Philippe, le vigile vérifia que sa radio n'avait pas été en porteuse pendant 
qu'il racontait cette histoire à la femme de chambre.
"Dios Mio" étouffa 
Maria dans un mouchoir qu'elle porta à sa bouche avant de poursuivre.
"Et 
qu'en est-il du petit Otis?
Tu ne vas pas le croire! Milton a décidé 
d'adopter le bébé plutôt que de la reconnaitre."
"Pas étonnant c'est plus 
simple pour lui juridiquement, enfin j'imagine."
Le vigile regarda l'oeil 
sombre de la caméra de surveillance et se demanda si quelqu'un derrière son 
écran l'observait.
Soudain, les lumières s'éteignirent et l'ascenseur se 
bloqua entre deux étages. 
Philippe esquissa un sourire et lança à Maria 
:
"Je t'ai dit 
que j'ai mangé des fayots ce midi?"